XIII.
Après avoir fait voir que le souverain bien consiste dans la possession de l'immortalité, l'ordre du sujet que je traite semblerait m'obliger à faire voir que l'âme est immortelle. Il y a eu de grandes contestations entre les philosophes sur cette matière. Mais ceux qui ont été dans les véritables sentiments, n'en ont apporté aucune preuve, et n'ont proposé ni raison ni autorités pour convaincre leurs ennemis. Le dernier livre de cet ouvrage où je parlerai de la vie heureuse, sera plus propre que celui-ci à l'examen de cette question. Il ne reste plus que la troisième partie de la philosophie, que l'on appelle logique et qui enseigne l'art de penser et d'exprimer ses pensées. La religion n'a pas besoin de cet art, parce que la sagesse réside non sur la langue, mais dans le cœur, et que les choses parlant d'elles-mêmes, elle peut négliger le choix des paroles. Nous ne cherchons ni un grammairien ni un orateur qui ne fasse profession que de bien parler; nous cherchons un sage qui sache bien vivre. Si la physique ni la logique ne servent de rien pour nous rendre plus heureux, on ne peut plus avoir recours qu'à la morale, à laquelle on dit que Socrate s'appliqua uniquement. Mais, comme j'ai fait voir que les philosophes se sont trompés dans cette partie aussi bien que dans les autres, et qu'ils n'ont pu comprendre en quoi consiste le souverain bien pour lequel ils ont été mis au monde, il est clair que la philosophie ne contient rien que de vain et d'inutile, et qu'elle ne nous enseigne ni les règles de la justice ni aucun de nos véritables devoirs. Que ceux-là sachent qu'ils se trompent, qui s'imaginent que la philosophie est la sagesse. Qu'ils ne défèrent en cela à l'autorité de qui que ce soit, mais qu'ils se rendent plutôt à la vérité. C'est une matière où l'on ne se trompe pas impunément. Quand on a la témérité d'embrasser une fausse opinion, ou l'imprudence de suivre une personne peu éclairée, on ne s'engage à rien moins qu'à subir un supplice qui n'a pas de fin. Si un homme, quel qu'il puisse être, se fie à sa propre conduite, ou il n'a pas l'esprit de s'apercevoir de son égarement, ou au moins il a beaucoup d'orgueil en s'attribuant un avantage qui est au-dessus de sa nature. Le plus éloquent des Romains tombe lui-même en des erreurs fort grossières, et on ne saurait mieux les reconnaître que par la lecture de ses Offices, où, après avoir dit que la philosophie n'est autre chose que l'étude de la sagesse, et que la sagesse est la science des choses divines et humaines, il ajoute ce qui suit : « Je ne sais ce que peut louer celui qui blâme l'étude de la philosophie ; car si c'est le divertissement ou le repos que l'on cherche, qu'y a-t-il que l'on puisse comparer avec les études de ceux qui n'ont point d'autre occupation que de méditer sur les moyens de parvenir à une vie honnête et heureuse? Que si l'on désire de s'établir dans la solidité de la vertu, il n'y a point d'autre art qui nous promette ce glorieux avantage. » Dire qu'il n'y a point d'art qui nous mette en cet état, et qu'il n'en faut point espérer pour cet effet, au lieu qu'il y en a pour les moindres choses, c'est n'avoir aucune attention à ce que l'on dit, et se tromper dans une matière fort importante. Que s'il y a quelque art pour apprendre la vertu, où le peut-on trouver hors des limites de la philosophie? Bien que la profession que j'ai faite d'enseigner les belles-lettres m'ait donné quelque facilité de parler, j'avoue pourtant que je ne suis point éloquent, et que jamais je n'ai fréquenté le barreau. Mais la bonté de ma cause peut me donner de l'éloquence, et la connaissance que j'ai du vrai Dieu, suffisent pour me faire plaider avec autant d'ornements que de force. Je voudrais que Cicéron pût sortir maintenant du tombeau, afin que le plus célèbre orateur de l'antiquité fût instruit par un homme qui n'a qu'une connaissance médiocre des préceptes de la rhétorique. Je lui ferais voir premièrement ce que pourrait louer un homme qui blâmerait l'étude de la philosophie. Je lui ferais voir, en second lieu, que la philosophie n'est pas un art par lequel on apprenne la vertu, et où il faut chercher cet art et hors de la philosophie. Il faut aussi demeurer d'accord que Cicéron ne faisait point ces questions là à dessein d'apprendre, et qu'il n'y avait personne en son temps de qui il put attendre la résolution de ses doutes. Il ne les faisait que par manière de déclamation, dans l'assurance qu'on ne lui pourrait jamais rien répondre pour faire voir que l'étude de la philosophie n'est pas une école de vertu. Il plaidait du même style et du même air, quand il voulait presser ceux à qui il avait affaire et les faire tomber dans quelque contradiction. Il en a usé de la sorte dans les questions Tusculanes où il fait à la philosophie cette apostrophe. « O philosophie! qui nous conduisez dans le cours de vie, qui exterminez les vices, et qui autorisez la vertu, qu'auraient pu faire sans vous tous les hommes ? Vous avez inventé les lois ; vous avez formé nos mœurs. Vous avez établi une discipline. » Il lui adresse la parole comme si elle eût pu l'entendre, et il lui donne des louanges qu'il aurait mieux méritées qu'elle. Il aurait pu remercier de la même manière les aliments que nous prenons, parce que sans eux nous ne saurions conserver notre vie. Comme il n'ont point de sentiment, ils n'ont point aussi de dessein de nous obliger. La sagesse est à l'égard de l'esprit, ce qu'ils sont à l'égard du corps.
