VII.
Parlons maintenant de la morale qui est sans doute la partie la plus importante de la philosophie, et qui apporte la plus grande utilité, au lieu que la physique ne donne que du plaisir. Comme il n'y a point de fautes aussi dangereuses que celles qui regardent les mœurs, nous ne devons jamais avoir plus d'application que quand il s'agit de les bien régler. Il y a d'autres matières auxquelles on ne prend pas si fort garde, parce que, quand on y réussit, on n'en tire pas grand profit, et quand on se trompe, on n'en souffre pas grand dommage. En matière de morale, il n'est pas permis de suivre son caprice ni de se tromper. Tout le monde doit être uni dans le même sentiment, parce que le moindre égarement est d'une grande conséquence pour la suite de la vie. Il y a moins de danger dans la recherche des secrets de la nature, mais il y a aussi plus d'obscurité, et plus de liberté de soutenir ce qui paraît le plus probable. Au contraire, dans le règlement des mœurs, comme il y a plus de danger il y a moins de difficulté, parce que l'usage et l'expérience nous enseignent ce qu'il y a de plus véritable ou de meilleur. Voyons donc s'il y a quelque uniformité de sentiments parmi les philosophes touchant la morale et touchant les préceptes qu'ils nous donnent pour la conduite de notre vie. Il n'est pas nécessaire de parcourir toutes les questions. Il n'y a qu'à choisir la principale et celle d'où les autres dépendent. Epicure met le souverain bien dans le plaisir de l'esprit, et Aristippe dans le plaisir du corps. Calliphon et Dinomaque, Cyrénéens, joignent l'honnêteté au plaisir. Diodore fait consister le souverain bien à être exempt de douleur. Hiéronymus à n'en pas sentir. Les péripatéticiens l'établissent dans les biens de l'esprit, du corps et de la fortune. Hérille maintient que le souverain bien est de savoir; Zénon, que c'est de vivre conformément à la nature; quelques stoïciens, que c'est de suivre la vertu. Aristobée n'en reconnaît que dans l'honnêteté et dans la vertu. Voila les sentiments des philosophes. Lequel suivrons-nous dans une si grande diversité ? Leur autorité est égale. Si nous sommes capables de prendre de nous-mêmes le bon parti, nous n'aurons pas besoin de nous adonner s l'étude de la philosophie, parce que nous sommes montés au comble de la sagesse, et que nous sommes les juges de ceux qui font profession de la chercher. Mais si nous sommes encore au rang de ceux qui ont besoin de s'instruire, comment jugerons-nous de ce que nous n'avons pas appris, surtout quand un académicien nous retiendra comme il fait par le manteau, et nous empêchera d'ajouter foi à personne, bien que de son côté il n'avance rien que nous puissions croire.
