II.
Après avoir fait voir dans les deux livres précédents la fausseté de la religion païenne et la source d'où cette fausseté procède, je tâcherai de découvrir en celui-ci la fausseté de la philosophie, afin que les nuages de toutes les erreurs soient dissipés et qu'il n'y ait plus rien qui empêche la vérité de paraître avec l'éclat qui lui est propre. Je commencerai par le nom de philosophie, afin qu'ayant coupé la tête, il soit plus aisé d'abattre le corps, si néanmoins on peut appeler corps ce qui n'a que des parties séparées et éparses, qui, étant privées du principe de la vie, ne manifestent qu'un mouvement de palpitation. Le nom de philosophie et l'explication que l'on en donne d'ordinaire marquent assez qu'elle ne signifie autre chose que l'étude de la sagesse. Quelle meilleure preuve pourrais-je jamais avoir pour montrer que la philosophie n'est pas la sagesse, que celle qui se tire du nom même de philosophie? Celui qui s'adonne à la sagesse ne la possède pas encore, mais il l'étudie pour la posséder. Personne n'ignore le rapport que l'étude a avec les autres arts que l'on étudie; de ce que l'on apprend un art on ne le sait pas encore. C'est par retenue et par une honnête pudeur que les philosophes, au lieu de s'appeler sages, ont seulement fait profession de rechercher la sagesse. Pythagore inventa le premier ce nom; car, étant un peu plus sage que ceux qui croyaient l'être beaucoup, il jugea fort bien que l'homme ne saurait parvenir par son étude à la sagesse et ne crut pas devoir prendre le nom d'une chose à laquelle il n'osait aspirer. Quand on lui demandait de quoi il faisait profession, il répondait qu'il faisait profession de chercher la sagesse. Si la philosophie est la recherche de la sagesse, elle n'est donc pas la sagesse ; car il y a différence entre la recherche et la chose recherchée. La recherche n'est pas raisonnable quand elle a pour but ce qui ne peut se trouver. C'est pourquoi je prétends que les philosophes ne cherchent pas la sagesse puisqu'ils ne l'ont jamais trouvée. S'ils avaient pu la trouver, ils l'auraient trouvée depuis le temps qu'ils la cherchent. Ainsi le temps qu'ils ont perdu et la peine qu'ils ont prise inutilement ne font que trop voir que la possession de la sagesse n'est ni la fin ni le fruit de leur travail. Les philosophes ne s'adonnent donc pas à l'étude de la sagesse, bien qu'ils croient s'y adonner. Ils se tourmentent inutilement à chercher sans savoir ni ce qu'ils cherchent ni le lieu où il se trouve. Enfin les philosophes ne possèdent pas la sagesse, soit qu'ils la cherchent ou qu'ils ne la cherchent pas ; car il est certain que l'on ne trouve une chose que si on ne la cherche point, ou si on la cherche d'une autre manière qu'il faut la chercher. Examinons pourtant si par cette étude on ne peut rien trouver ou si l’on peut trouver quelque chose.
