XXII.
Cette communauté n'était autre chose qu'une confusion monstrueuse de débauches et d'adultères, qui ne pouvait être réparée que par la vertu. Platon n'avait garde de trouver la bonne intelligence qu'il cherchait, parce qu'il ne s'apercevait pas qu'elle ne procède que de la justice, qui réside non dans les choses extérieures, ni même dans le corps, mais dans le cœur. Quiconque veut établir une parfaite égalité entre les hommes, doit leur ôter non leurs femmes ni leurs richesses, mais leur orgueil et leur arrogance. Quand les riches seront dépouillés de l'injustice et de l'insolence, il n'y aura plus aucune différence entre eux et les pauvres, et ils seront tous égaux par une disposition d'esprit, que la seule religion peut donner. Platon a ruiné la justice, dans le temps même qu'il se flattait de l'avoir trouvée, parce qu'il n'a pas reconnu que la véritable communauté consiste non à posséder en commun des choses périssables, mais à n'avoir qu'un esprit et qu'un cœur. La justice est la mère des autres vertus; elle ne saurait subsister quand on les a ôtées toutes. Or, Platon les a toutes ôtées. Il a ôté la frugalité, parce qu'il n'y a point de frugalité lorsque personne n'a rien qui lui soit propre. Il a ôté l'abstinence, parce que l'on ne s'abstient que du bien d'autrui, et qu'il n'y a plus de bien d'autrui quand tout est commun. Il a ôté la continence et la chasteté, vertus qui sont de très grand usage et qui font le principal ornement des deux sexes. Il a ôté la pudeur et la modestie, en permettant comme honnêtes et légitimes des actions qui avaient toujours paru infâmes et criminelles ; ainsi en voulant donner la vertu à tout le monde, il l'a ôtée à tout le monde. La propriété et le domaine renferment la matière des vices et des vertus, au lieu que la communauté de biens donne la licence de s'abandonner à toutes sortes de crimes. Les hommes qui ont plusieurs femmes ne peuvent passer que pour des débauchés et pour des perdus. Les femmes qui ont plusieurs maris ne sont pas des adultères parce qu'elles n'ont jamais contracté de mariage, mais ce sont des prostituées. Il a donc réduit la vie des hommes à la condition de celle des bêtes les plus basses elles plus méprisables ; car les oiseaux s'accouplent avec quelque sorte de fidélité. Le mâle et la femelle ont leur nid qu'ils gardent en commun, où ils élèvent leurs petits ; ils les aiment parce qu'ils sont assurés qu'ils sont à eux, et ils enchâssent les autres. Cet homme sage a choisi pour modèle ce qu'il y avait de plus extravagant, de plus contraire à la nature et à la coutume. Ayant vu que les mâles et les femelles n'ont point de fonctions séparées parmi les bêtes, il a jugé que les hommes et les femmes n'en devaient point avoir, et que les femmes devaient manier les armes, entrer dans les conseils, exercer les charges, posséder la souveraine puissance. Il fallait qu'il mît entre les mains des hommes le fil et la laine, et qu'il les obligeât à porter les enfants entre leurs bras. Je m'étonne qu'il ne se soit pas aperçu que ces projets-là ne pouvaient être réduits en pratique, et qu'il n'y a jamais eu de nation qui se soit avisé de se conduire par une police si extravagante.
