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Julien. Il faudrait sans doute que toutes les vertus fussent en honneur parmi les hommes; il faudrait que la sagesse constante de notre esprit fût comme une digue puissante opposée au torrent des vices, et que la sainteté de nos désirs fît descendre sur nous les bénédictions du Créateur; enfin, puisque la persévérance dans l'heureux état de notre piété et de notre ferveur première est une chose extrêmement rare; puisque cette persévérance nous paraît excessivement difficile, pour ne pas dire impossible, nous devrions du moins nous appliquer à déraciner de notre coeur les vices que nous y avons longtemps nourris, et entretenir la vigueur de nos âmes par le travail de notre réformation personnelle et par les labeurs de la pénitence. Certes, il faudrait du moins que le respect de la divinité demeurât inviolable, et que nous ne fussions pas dans la nécessité de défendre la loi divine au prix de tant d'efforts; mais, parce que la perversité des pécheurs est parvenue à un degré tel que nous sommes réduits à entreprendre des travaux considérables pour prouver que Dieu est juste, nous allons, avec la confiance que cette justice même dont nous plaidons la cause ne nous refusera pas son secours, nous allons accomplir la promesse que nous avons faite dans le livre qui précède.
Aug. Tu implores le secours de Dieu pour parvenir à terminer tes livres et à les remplir de vaines paroles, et tu n'implores pas ce même secours pour parvenir à réformer ta doctrine perverse. Je voudrais cependant apprendre de toi pourquoi tu réclames le secours de Dieu au sujet de cette oeuvre, puisqu'il dépend de ton libre arbitre de l'accomplir ou de ne pas l'accomplir. Est-ce afin d'obtenir par ce moyen des choses qui ne sont pas en ton pouvoir et sans lesquelles tu ne saurais composer ton ouvrage; par exemple, pour ne point parler du reste, la nourriture et le loisir ? Mais Dieu nous procure presque toujours ces sortes de choses par l'intermédiaire de la volonté des autres. Ainsi, tu vois que quand tu implores le secours de Dieu pour parvenir à terminer tes livres, tu demandes précisément que le Dieu tout. puissant dispose les volontés des hommes, de telle sorte que tu sois aidé par elles et qu'elles écartent même les obstacles qui pourraient s'opposer à l'accomplissement de ton oeuvre. Car si les hommes ne voulaient pas te procurer la nourriture et les autres ressources nécessaires;,'ils ne voulaient pas cesser de troubler ton repos et d'apporter des obstacles à ton entreprise, il ne te serait pas possible d'écrire ou de dicter ces livres. Tu as donc l'espérance que, avec le secours divin, les volontés des hommes au milieu desquels tu vis seront disposées de telle sorte que rien de ce qui est nécessaire à l'achèvement de ton oeuvre ne le fera défaut. C'est le Seigneur, en effet, qui prépare la volonté (quoique vous ne le croyiez pas)[^1]. Conséquemment, ou bien réforme ta doctrine, ou bien cesse d'implorer le secours de Dieu pour la défense même que tu veux faire de cette doctrine.
- Prov. VIII, suiv. les Sept.
