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Jul. Et encore : « Celui qui accomplit licitement l'oeuvre de cette passion honteuse, fait un bon usage d'une chose mauvaise : celui au contraire qui accomplit cette oeuvre d'une manière illicite, fait un usage mauvais d'une chose mauvaise. Car la qualification de mauvaise convient mieux que celle de bonne à une chose qui fait rougir à la fois les bons et les méchants; et nous croyons volontiers à ces paroles de l'Apôtre : « Il n'y a rien de bon dans ma chair[^1] ». Et ailleurs : « Ce n'est point la convoitise des époux qui constitue la bonté du mariage : cette convoitise est une infamie dans ceux qui y cèdent d'une manière illicite; c'est une nécessité à laquelle ne sauraient se soustraire ceux qui doivent engendrer; c'est a un foyer où viennent s'allumer les pensées et les désirs immondes; c'est un sujet de honte pour les époux[^2] ». Et ces autres paroles : « Ce qui constitue la bonté du mariage, c'est la procréation résultant de l'accomplissement du devoir conjugal; mais a l'union charnelle qui précède cette procréation, appartient à la concupiscence mauvaise qui, fuit constamment le regard des hommes et qui, rougissant d'elle-même, cherche toujours la solitude[^3]». Or, ta mémoire plutôt que ton intelligence personnelle t'ont suggérées maximes et les autres du même genre sur lesquelles tu prétends ordinairement appuyer ta doctrine. Ainsi Manès a peiné beaucoup pour édifier un système qu'il considérait comme une oeuvre du génie; et toi tu t'es laissé tromper par un espoir chimérique, quand tu as pensé que le souvenir de tes lectures pourrait ne pas se trahir.
Aug. Quel est en effet, parmi les hommes qui connaissent tant soit peu la doctrine des Manichéens, quel est celui qui ignore que suivant ceux-ci la concupiscence de la chair est mauvaise? Mais ce n'est point là ce qui distingue le manichéisme de la doctrine enseignée par leurs adversaires; car, saint Paul enseigne-t-il autre chose quand il dit. «La chair a des désirs contraires à ceux de l'esprit, et l'esprit a des désirs contraires à ceux de la chair : cette chair et cet esprit sont opposés entre eux, de sorte que vous ne faites pas ce que vous voudriez[^4]? » Saint Jean il son tour ne tient-il pas le même langage, quand il dit : « Quiconque aime le monde, la charité du Père n'est point en lui : car tout ce qui est dans le monde est ou concupiscente de la chair, ou concupiscence des a yeux, ou désir des biens de cette vie; et ces trois choses ne viennent point de Dieu, mais du monde[^5] ? » Ainsi, les Manichéens n'énoncent point une maxime qui leur soit propre, quand ils enseignent que la concupiscence de la chair est mauvaise; excepté les aveugles, tout le monde voit que les Apôtres tiennent le même langage; mais vous-mêmes vous favorisez la doctrine infâme qui constitue le manichéisme proprement dit, quand vous prétendez, contrairement à la vérité, que, dans la nature humaine créée bonne par Dieu, la concupiscence de la chair n'est pas une suite fatale du péché; cette concupiscence, dis-je, aux sollicitations de laquelle, que vous le vouliez ou non, toute âme chaste résiste afin de ne point commettre le mal. Par là en effet, vous autorisez les Manichéens à conclure que cette concupiscence, dont ils démontrent clairement la perversité parles résistances et les luttes des âmes chastes et par le témoignage des Apôtres, est l'oeuvre du prince des ténèbres et qu'elle a été formée d'une substance mauvaise éternelle comme Dieu; que cette concupiscence n'est pas une maladie dont nous devons être guéris, mais une substance dont nous devons être, séparés un jour; enfin que notre condition actuelle est la suite; non pas d'une flétrissure même fortuitement. à notre nature bonne en elle-même, mais la conséquence nécessaire de l'union de cette même nature bonne à une substance mauvaise. Du reste, continuez à nous calomnier et à nous imputer les maximes abominables des Manichéens, auxquels vous prêtez un appui qui les rendra invincibles, à moins que vous-mêmes avec eux vous ne vous laissiez vaincre par la vérité catholique, laquelle seule est véritablement invincible.
Des Noces et de la Concup., liv. II, n. 36.
Id. lib. I, n. 13.
Id. liv. I, n. 8.
Gal. VI, 17.
I Jean, II, 15, 16.
