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Jul. Lors donc que nous fûmes arrivé[^3] à cette maxime de l'apôtre saint Paul, si souvent présentée par notre adversaire aux personnes étrangères à la connaissance des Ecritures comme un argument irréfutable en faveur de la doctrine de la transmission du péché par le sang : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme[^4] »; je montrai d'abord, par les termes mêmes dans lesquels cette maxime est conçue, qu'elle ne saurait être absolument d'aucun secours pour les partisans de la transmission du péché par le sang : car le Maître des nations, rappelant l'origine antique du péché, a mis en avant un nombre précis qui protège, comme un rempart infranchissable , la génération contre toute accusation ; en disant que le péché est entré dans le monde par un seul homme, il fait voir qu'il n'entend parler en aucune manière de la génération, puisque celle-ci ne peut s'accomplir que par le concours de deux personnes. J'ai fait remarquer ensuite que l'Apôtre lui-même établit une distinction formelle entre l'union charnelle et le péché des parents, puisqu'il dit que, à la vérité, le péché est entré dans le monde, mais par un seul homme : or, ce nombre ne saurait en aucune manière s'appliquer à l'acte de procréation. J'ai démontré suffisamment dans tout le cours de ce petit livre, qu'il ne s'agit pas, en cet endroit de l'Epître aux Romains, du péché considéré dans sa nature, mais du péché considéré comme exemple ; la pensée de saint Paul étant que les prévaricateurs venus après le premier homme, se sont rendus coupables de péché par des actes d'imitation, et non point que le péché leur a été transmis par la voie de la génération. Cependant, nous lisons dans l'Epître aux Hébreux, que les Juifs sont nés d'un seul homme, et d'un homme presque éteint », c'est-à-dire d'Abraham ; et plus haut, dans la même Epître, on,lit aussi ces paroles relatives à Jésus-Christ : « Celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés descendent tous d'un seul[^1] » ; mais de peur que le partisan de la transmission du péché par le sang ne vienne à s'autoriser de ces paroles ou d'autres semblables, s'il peut en trouver, pour nous opposer cet argument : La réponse que vous m'avez faite, quand vous avez affirmé que saint Paul, voulant faire connaître par qui le péché a passé, dit qu'il a passé par un seul homme, afin précisément que cette transmission ne puisse être attribuée à l'oeuvre de la génération ; cette réponse n'en est plus une, puisque l'on voit dans cette Epître la génération désignée par la même expression numérique; de peur, dis-je, que tu ne croies avoir trouvé dans ces paroles une ressource suprême, j'ai pensé qu'il était de mon devoir de discuter de nouveau le sens véritable de ce passage de l'Epître aux Romains. Je prie donc le lecteur de me prêter une attention sérieuse : car l'absence de contradiction entre ces divers passages de l'Ecriture sera prouvée par des arguments de plusieurs sortes. Dans le passage où il est parlé d'Abraham, le nom de Sarra se trouve aussi mentionné. Voici en effet les termes mêmes dans lesquels l'Apôtre s'exprime
C'est par la foi que celui qui est appelé Abraham, obéit et s'en alla dans la terre qu'il devait recevoir pour héritage ; c'est par la foi qu'il partit sans savoir où il allait; « c'est par la foi qu'il demeura dans la terre qui lui avait été promise, comme dans une terre étrangère, habitant sous des tentes avec Isaac et Jacob, cohéritiers de la même promesse. Car il attendait cette cité bâtie sur un fondement inébranlable, et dont Dieu même est le fondateur et l'architecte. C'est par la foi aussi que Sarra, quoique stérile, reçut la vertu de concevoir un enfant, alors qu'elle n'était plus en âge d'en avoir , parce qu'elle crut fidèle et véritable celui qui lui avait fait une promesse à cet égard. C'est pourquoi il est sorti d'un seul homme, et d'un homme presque éteint, une postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable innombrable qui est sur le bord de la mer[^2] ». Après avoir donc nommé l'un et l'autre, c'est-à-dire Abraham et Sarra ; après avoir dit que celle-ci, quoique devenue stérile par suite de son grand âge, avait cependant mérité par sa foi de recevoir la vertu de concevoir un enfant ; saint Paul ajoute en toute sécurité qu'il est sorti d'un seul homme une postérité tellement nombreuse qu'on peut la comparer à la multitude des astres. Ainsi , l'Apôtre voulant mettre son récit d'accord avec la vérité historique, c'était pour lui un devoir de rapporter le fait de l'union charnelle des parents mais, le même Apôtre voulant faire ressortir le nombre prodigieux des enfants issus de ces deux personnes, les règles de l'art oratoire l'avertissaient de parler d'une seule de ces personnes, et non pas de l'une et de l'autre. En effet, quand il disait que la multitude ainsi engendrée par un acte de la puissance divine surpassait tous les nombres, son but était de montrer la grandeur incommensurable de la récompense que la fermeté de la foi avait méritée; mais il comprit qu'il exalterait d'une manière plus éloquente l'action merveilleuse de la puissance divine, s'il attribuait cette postérité à une seule personne, au lieu de l'attribuer à deux ; vu surtout qu'en employant cette forme oratoire pour donner plus de relief à sa pensée, il ne blessait en rien la vérité historique exposée précédemment par lui dans toute son intégrité.
Aug. Je ne vois pas quelle peut être l'intelligence de celui qui ne comprend pas que tes paroles ne signifient rien. Tu avais déclaré que l'Apôtre dit : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme u, précisément parce que cet homme a donné aux autres l'exemple du péché : «En effet », disais-tu, « s'il voulait parler en cet endroit de la génération, il dirait: Par deux personnes, et non point : Par un seul homme[^5] » . Tandis que, en réalité, s'il avait voulu parler d'exemple, il aurait dit, non point : « Par un seul homme », mais . Par une seule femme , puisqu'il est certain que l'exemple du péché a été donné par la femme à son mari lui-même. Mais le péché est entré dans le monde par la voie de la génération, pour être effacé ensuite par la régénération seule ; et voilà pourquoi saint Paul a dit : « Par un seul homme » ; car, de même que l'exemple du péché commis par une volonté humaine, a été donné d'abord par la ;femme, de même aussi, l'oeuvre de la génération est accomplie d'abord par l'homme ; personne ne doute, en effet, que l'action de l'homme dans cette oeuvre, ne soit antérieure à la conception qui s'opère dans le sein de la femme. Cependant, voici qu'un témoignage dont le sens est tout à fait manifeste, a été trouvé soit par toi-même, soit par quelqu'un qui te l'a peut-être objecté : il y est dit dans les termes les plus clairs qu'une postérité innombrable est sortie d'un seul homme, quoique en réalité l'origine de cette postérité remonte à un homme et à une femme; en d'autres termes, à deux parents : mais ce langage est parfaitement exact, parce que l’oeuvre de la génération commence par l'homme. D'ailleurs , comme l'Apôtre voulait proposer aux Hébreux des exemples de foi tout à fait dignes d'éloge , il commence par citer l'exemple d'Abel, et après avoir cité encore l'exemple d'Abraham, il arrive à celui de Sarra. Il ne s'agissait plus d'Abraham , l'Apôtre parlait uniquement de l'épouse d'Abraham : et cependant, quand le moment fut venu de rapporter la manière admirable dont un peuple immense avait été engendré, il rappela de nouveau le nom d'Abraham ; parce que l'action de celui-ci dans l'oeuvre de 1a génération fut antérieure à l'enfantement de Sarra. Si, comme c'était ton devoir, tu avais fait ces réflexions, tu ne blasphémerais point contre le fidèle prédicateur de la foi qui a écrit cette Epître, et tu ne dirais point qu'il a été averti par les règles de l'art oratoire », Averti de quoi, je te prie ? Veux-tu dire qu'il fut averti de mentir en attribuant à une seule personne cette postérité qui appartenait en réalité à deux personnes, et cela, parce que, suivant toi, « il comprit qu'en s'exprimant ainsi il exalterait d'une manière plus éloquente l'actionne la puissance divine?» Tu te trompes complètement : les louanges contraires à la vérité ne sont point agréables à Dieu. Je sais que tu fais profession de prodiguer aux convoitises charnelles des éloges de ce genre ; mais le mensonge déplaît extrêmement à la Vérité souveraine. Je ne comprends pas, du reste, pourquoi, au lieu du rôle de panégyriste, tu ne remplis pas celui de flatteur attitré à l'égard de ces convoitises. Est-ce à tes yeux un moyen de te faire aimer d'elles plus tendrement? Tu es tout à fait dans l'erreur : ces convoitises ne sont point des amies de l'homme ; tous leurs efforts, au contraire, ont pour objet unique de porter l'homme à aimer ce qu'il ne doit point aimer. Mais si l'on peut, quelles que soient les expressions dont on se sert, attribuer sans aucun mensonge et avec le respect le plus absolu de la vérité ; si l'on peut, dis-je, attribuer à une seule personne la postérité qui appartient réellement à deux personnes; pourquoi penses-tu que ces paroles : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme », n'ont pu en aucune manière être employées pour désigner la génération, sous prétexte que cette oeuvre exige le concours de deux personnes et qu'elle ne saurait être accomplie par une seule ? Chacun sait, en effet, que l'action de l'homme est ici la principale, ou du moins la première ; que l'action de la femme, au contraire, consiste, non pas à engendrer, mais à enfanter ; ou bien, si le mot engendrer peut être justement employé dans le sens même du mot enfanter, que la femme conçoit d'abord sous l'action d'un homme qui engendre, et qu'elle engendre ensuite le fruit qu'elle a conçu. Ainsi donc, l'Apôtre voulant faire entendre que le péché dont Jésus-Christ devait nous purifier par le sacrement de la régénération , est entré dans le morale parla voie de la génération, a dit que ce péché est entré « par un seul homme», lequel eut alors ou bien la première part, ou bien la part principale dans l'oeuvre de la génération . ce qui le prouve surtout, c'est que (nous te l'avons déjà dit, et nous ne cesserons de te le répéter), si l'Apôtre avait voulu parler en cet endroit du premier exemple qui fut donné; il aurait dit : Le péché est entré par une seule femme, puisque le premier exemple de péché commis par une créature humaine, fut donné par la femme ; et il au. rait plutôt omis de parler de l'homme, puisqu'Il savait que l'homme avait suivi l'exemple de la femme, et que le péché d'Adam avait été commis par un acte d'imitation.
Liv. II, ch. LVI et suiv.
Rom.V,12.
Hébr. II, 11.
Hébr. XI, 8-12.
Liv. II, Ch. LVI, CLXXXIII.
