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Jul. Il serait temps de passer à d'autres arguments ; mais la gravité du sujet que nous traitons exige que nous ajoutions ici ce que nous croyons avoir omis dans le livre précédent. Le lecteur éclairé jugera peut-être ces explications inutiles. cependant, comme l'expérience prouve que l'on ne peut cesser de défendre une cause, sans que celle-ci se trouve. de nouveau exposée à des attaques plus ou moins dangereuses ; il faut, après avoir désarmé notre adversaire, lui ôter l'espérance même de pouvoir recommencer la lutte.
Aug. Puisque tu as commencé à passer à d'autres arguments, nous devons remplir ici la promesse que nous avons faite précédemment, et démontrer que le passage du prophète Ezéchiel, où il est dit que les péchés des parents ne sont point vengés sur les enfants, de même que les péchés des enfants ne sont point vengés sur les parents ; nous devons démontrer, dis-je, que ce passage renferme une prédiction relative au nouveau Testament. Le prophète Jérémie s'exprime, lui aussi, presque dans les mêmes termes, et ses paroles nous font comprendre le sens de la prophétie d'Ezéchiel. Jérémie dit, entre autres choses : « Convertis-toi, vierge d'Israël; retourne en pleurant à tes villes: jusques à quand demeureras-tu écartée du droit chemin, fille déshonorée ? Car le Seigneur a créé, pour sauver les hommes, une plantation nouvelle, et tous les hommes auront part à ce salut. Voici comment s'est exprimé le Seigneur : Ils diront encore cette parole dans la terre de Juda et dans ses cités, « lorsque j'aurai rappelé les Juifs de leur captivité : Que le Seigneur soit béni sur. sa montagne juste et sainte. Oui, tel sera le langage de ceux qui habitent en Judée et dans toutes les villes de la Judée et du laboureur avec eux ; et ils immoleront des victimes prises dans leurs troupeaux ; car j'ai enivré toute âme qui avait soif et j'ai rassasié toute âme qui avait faim. Sur cela je me suis éveillé et j'ai ouvert les yeux, et mon sommeil m'a été doux. Ainsi, dit le Seigneur, voici que le temps vient où je sèmerai Israël et Juda, et où je les peuplerai et d'hommes et d'animaux. Et voici ce qui arrivera: comme je m'appliquais à les arracher et à les affliger, ainsi je m'appliquerai à les édifier et à les planter, dit le Seigneur. En ce temps-là on ne dira plus : Les pères ont mangé des raisins verts et les dents des enfants ont été agacées; mais chacun mourra dans son péché, et celui-là précisément aura les dents agacées, qui aura mangé des raisins verts ». Il est manifeste que ces prédictions se rapportent au temps de cette plantation nouvelle dont le Prophète parle ici, afin de donner à sa pensée une forme plus sensible; et quand Dieu promet de semer des hommes et des animaux, ces expressions, interprétées dans leur sens spirituel, désignent ceux qui commandent et ceux qui obéissent. Mais, parce que le peuple conservait dans son coeur le souvenir ineffaçable de ces paroles écrites dans l'Ancien Testament : « Je vengerai sur les enfants les péchés de leurs pères » ; et que, par suite de ce texte, l'Ecriture de Dieu aurait pu paraître à quelques-uns en contradiction avec elle-même; Jérémie, afin de montrer d'une manière plus évidente que l'une de ces maximes s'applique à l'ancien, et l'autre au Nouveau Testament, ajoute aussitôt: « Voici que le temps vient, dit le Seigneur, où je donnerai à la maison d'Israël et à la maison de Juda un Testament nouveau, un Testament qui ne sera point conforme à celui que j'ai donné à leurs pères au jour où je les pris par la main pour les faire a sortir de la terre d'Egypte, etc.[^3] » Ainsi, sous le premier de ces deux Testaments, c'est le règne de la génération ; sous le second, c'est le règne de là régénération : et voilà pourquoi sous le premier les péchés des pères sont vengés sur les enfants, tandis que sous le second la souillure de la génération étant effacée par le Sacrement de la régénération, on ne dit plus. « Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants ont été agacées » ; mais « celui-là précisément aura les dents agacées, qui aura mangé des raisins verts » ; car chacun mourra non à cause du péché de son père, mais dans son propre péché, s'il en a commis. Toi, au contraire, tu n'as point montré comment cette prophétie: « Le fils n'expiera point le péché de son père[^1] », peut s'accorder avec ces autres paroles de l'Ecriture : « Je vengerai sur les enfants les péchés de leurs pères[^2] », Ces deux maximes demeureront en contradiction l'une avec l'autre, à moins qu'on ne rapporte chacune d'elles au Testament auquel elle s'applique en effet, comme le prophète Jérémie l'a fait voir de la manière la plus évidente.
Jérém. XXXI, 21-32, suiv. les Sept. ch. XXXVIII.
Ezéch. XVIII, 20.
Deut. III, 9.
