160.
Jul. Et cependant, même après que cet hérétique a été frappé mortellement par la foudre d'une vérité aussi manifeste , il semble respirer encore, si on le compare à toi. En effet, tout l'édifice de la doctrine manichéenne tombe en même temps par le fait seul que le fondement sur lequel il s'appuie se trouve ébranlé : ton système doctrinal au contraire périclite de trois côtés à la fois, tandis que celui de Manès périclitait d'un côté seulement. Juge par là même si une partie quelconque de ton édifice peut encore rester debout. Manès croyant qu'il existe un péché naturel, tandis qu'en réalité le péché est toujours l'oeuvre de la volonté, a posé ce principe comme un fondement ruineux. Mais il est resté d'accord avec lui-même dans ce qu'il a ajouté ensuite : Puisqu'il existe un péché naturel, dit-il, il existe aussi une nature mauvaise ; or, l'auteur d'une chose mauvaise ne saurait être bon : d'où il suit que la création du genre humain tout entier doit être attribuée au prince des ténèbres. Assurément, tout cet édifice doctrinal aurait pu subsister, si le principe qui lui sert de fondement ne s'était trouvé en contradiction avec cette autre maxime incontestablement vraie : Le péché étant l'oeuvre d'une volonté libre, ne saurait être considéré comme l'oeuvre de la nature, et rien de ce qui est l'oeuvre de la nature ne saurait être péché.
Aug. On peut aussi établir contre toi un syllogisme d'une logique non moins rigoureuse : Puisque tu n'es pas assez dépourvu de sens et de raison pour nier que des hommes naissent dépourvus de l'un et de l'autre, laisse-moi te dire quel puissant secours la doctrine extravagante de Manès a trouvé dans tes sottes maximes. Voici de quelle manière cet hérétique raisonne, en s'autorisant de ton exemple : Puisqu'il existe une sottise naturelle, dit-il, il s'ensuit que cette même nature est dépourvue de sens et de raison ; tu avais dit, toi : « Puisqu'il existe un péché naturel, il s'ensuit que la nature est mauvaise » ; il ajoute ensuite : Or, l'auteur d'une chose privée de sens et de raison ne saurait être sage ; de même que tu avais ajouté : « Or, l'auteur d'un être mauvais ne saurait être bon » ; il conclut enfin en ces termes : Et par là même on doit attribuer au prince des ténèbres la création du genre humain ainsi dépourvu de sens et de raison; cette conclusion est la reproduction presque textuelle de la tienne : « Et par là même on doit attribuer au prince des ténèbres la création du genre humain tout entier ». Manès donc t'a confondu par tes propres paroles; il s'est servi, pour te frapper, de tes propres armes. Que feras-tu ? Les paroles que tu ajoutes ensuite, ne sauraient être pour toi d'aucune utilité contre un tel adversaire ; ou plutôt elles seront pour celui-ci comme un glaive à l'aide duquel il te portera un coup décisif et mortel : « Assurément », dis-tu, « tout cet édifice doctrinal aurait pu subsister, si le principe qui lui sert de fondement ne s'était trouvé en contradiction avec cette autre maxime incontestablement vraie : Le péché étant, l'œuvre d'une volonté libre, ne saurait être, considéré comme l'oeuvre de la nature, et rien de ce qui est l'oeuvre de la nature, ne saurait être péché » . En quoi ces paroles peuvent-elles être utiles aux ,intérêts de la cause que tu défends; et ne sont-elles pas. plutôt une réfutation péremptoire et sans réplique de ta propre doctrine ? Peux-tu dire, en effet, qu'il ne saurait exister une sottise naturelle? Donc, le principe de l'existence de cette sottise naturelle, posé par Manès comme basé d'un raisonnement semblable au tien ; ce principe même te condamne, toi qui penses que cet hérétique s'est trouvé constamment d'accord avec lui-même et qu'il est arrivé, par une suite de déductions rigoureusement logiques, à cette conclusion suprême : On doit attribuer au prince des ténèbres la création d'hommes semblables. Nous au contraire, nous détruisons ce principe posé par Manès comme base de son raisonnement noria enseignons, il est vrai, que la sottise est naturelle à l'homme, mais en ce sens seulement que l'homme naît dépourvu d'intelligence et de raison, par suite de la souillure qu'il a contractée, et qui lui a fait mériter de naître ainsi ; non pas en ce sens que la condition primitive de la nature humaine a été un état de dépravation, suivant l’affirmation insensée de Manès. Par là même, quand celui-ci ajoute comme conséquence de ce principe, que la nature humaine est dépourvue d'intelligence et de raison ; nous reconnaissons la vérité de cette maxime , en ce sens que l'homme naît dépourvu de l'une et de l'autre par suite de la dégradation qu'il a subie au, moment où il a été engendré, mais non pas en ce secs que l'homme a été destiné à naître en cet état dès le jour où il fut formé par les mains d'un créateur bon. Car l'état d'incapacité intellectuelle où nous sommes en naissant est un effet de la dégradation de notre nature; notre création comme hommes, au contraire, à été l'oeuvre de Dieu seul. Manès ajoute ensuite que l'auteur d'une chose dépourvue de sens et de raison ne saurait être sage, et par ce mot de chose, il veut faire entendre l'homme lui-même; or, nous nions la légitimité de cette conséquence. Nous enseignons que Dieu est le créateur des hommes qui naissent dépourvus de sens et de raison, mais nous ne disons pas pour cela que Dieu soit l'auteur de la sottise même. Celle-ci ne doit pas être confondue avec la nature et la substance de l'homme dont Dieu seul est le créateur ; elle est seulement un vice dont cette nature s'est trouvée atteinte par la permission de Dieu ; et nous ne doutons nullement que cette permission de Dieu n'ait été conforme à la plus rigoureuse justice. De cette manière, nous détruisons à la fois la doctrine des Manichéens qui sont eux-mêmes les auteurs pervers de leur propre défaite, et la doctrine des Pélagiens, fauteurs insensés du manichéisme.
