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Jul. D'autre part, la pratique de la vertu n'est pas une source de chagrins amers, puisqu'elle nous met en possession, non-seulement de la royauté d'une bonne conscience, si je puis m'exprimer ainsi, mais encore de la félicité sublime qui nous est promise pour l'éternité. Cependant le secours de la grâce de Dieu ne fait jamais défaut à ceux qui veulent pratiquer la vertu; cette grâce leur vient en aide d'une multitude de manières différentes, mais toujours avec tant de modération qu'elle ne ravit jamais au libre arbitre le sceptre qui lui appartient; elle leur offre une assistance dont ils usent, s'ils le veulent; mais elle ne tait point violence à ceux qui la repoussent. Et voilà pourquoi certains hommes abandonnent le sentier infect du vice pour marcher dans la voie de la vertu; tandis que d'autres abandonnent la voie de la vertu pour souiller la pureté de leurs âmes dans le sentier du vice.
Aug. Comment pourrait-il se faire que le secours de la grâce de Dieu ravît au libre arbitre le sceptre qui lui appartient; puisque cette grâce a pour objet au contraire de délivrer le libre arbitre de l'état d'impuissance où le vice l'a réduit, de l'arracher à l'esclavage de l'iniquité et de le rétablir dans sa dignité première? Mais quand on vous demande en quoi consistent ces secours de la grâce de Dieu, vous énumérez les choses dont tu as parlé précédemment : « Les secours que Dieu nous donne consistent », dites-vous, « dans les préceptes qu'il a inscrits au livre de sa loi, dans les bénédictions qu'il répand sur nous, dans les sacrements par lesquels il nous sanctifie, dans les châtiments qu'il nous inflige, dans les invitations qu'Il nous adresse, dans les lumières dont il nous environne » ; or, nous pouvons recevoir des hommes eux-mêmes tous ces secours, selon le témoignage des Ecritures. Car les hommes, eux aussi, donnent des lois et des préceptes, les hommes bénissent, ils sanctifient par le moyen des divins sacrements, ils répriment par des châtiments, ils invitent et exhortent, ils enseignent et éclairent : et cependant, ni celui qui plante, ni celui qui arrose ne sont rien, mais tout vient de Dieu qui donne l'accroissement[^1]. Cet accroissement consiste en ce que chacun obéit aux commandements de Dieu ; et cette obéissance, quand elle est véritable, est toujours l'effet de la charité. Ce qui a fait dire à l'Apôtre que l'Eglise reçoit un accroissement corporel et qu'elle se forme et s'édifie ainsi par la charité[^2]. Mais Dieu seul donne cette charité : car la charité vient de Dieu[^3]. Vous ne voulez pas nommer cette charité parmi les secours de la grâce dont vous avez parlé, afin de ne pas être obligé de reconnaître que notre obéissance aux pré. coptes divins est elle-même un effet de la grâce de Dieu. Car vous considérez cette doctrine comme étant la négation du libre arbitre de la volonté, sous prétexte que personne ne peut pratiquer cette obéissance autrement que par un acte de sa volonté propre. Mais ce que vous ne voulez pas reconnaître non plus, c'est que la volonté est préparée par « le Seigneur[^4] » ; non pas à l'aide de paroles qui frappent extérieurement les oreilles, mais de la même manière qu'il changea en douceur la colère du roi, lorsqu'il voulut exaucer la prière d'Esther[^5]. Car de même que le Seigneur accomplit ce changement dans le coeur d'Assuérus d'une manière tout à fait divine et mystérieuse; de même aussi il opère en nous et le vouloir et le faire, selon qu'il lui plaît[^6].
I Cor. III, 7.
Ephée. IV, 16.
I Jean, IV, 7.
Prov. VIII, suiv. les Sept.
Esth. XV, 11.
Philipp. II, 13.
