161.
Jul. Ainsi la première définition une fois détruite, tout l'édifice doctrinal de Manès s'est écroulé de lui-même. Que peux-tu donc espérer de ton propre édifice qui est ébranlé de trois côtés à la fois, tandis que celui de Manès était ébranlé d'un côté seulement? Car tu enseignes : premièrement, qu'il existe un péché naturel; secondement, que le mal, c'est-à-dire le péché, est créé par un Dieu bon, de qui il reçoit aussi sa forme et ses développements; troisièmement, enfin, que le sang participe aux souillures de la volonté. Or, chacune de ces trois propositions eu particulier, est incapable de se soutenir par ses propres forées ; elles chancellent sur leur fondement, ou plutôt, pareilles à des cordes qu'on essayerait de faire avec du sable, elles se brisent avant qu'il y ait une cohésion quelconque entre leurs parties. La première, c'est-à-dire celle qui a pour objet l'existence d'un péché naturel, a été déjà renversée par un argument direct, quand nous avons réfuté la doctrine de Manès. Les deux autres, quoiqu'elles vous soient propres, se sont trouvées aussi enveloppées dans cette ruine, parce qu'elles étaient liées intimement et comme attachées à celle-là. Si Manès a invoqué en vain le nom de la nature mauvaise et celui du prince des ténèbres pour prouver que les hommes naissent coupables; à combien plus forte raison devez-vous croire que vos propres efforts seront impuissants, vous qui, pour démontrer cette culpabilité des enfants, avez imaginé en outre de recourir à une accusation insensée dirigée contre Dieu même ? Donc, puisque le péché ne saurait faire partie intégrante de la nature, et que l'édifice doctrinal de Manès s'est écroulé précisément parce qu'il était appuyé sur ce fondement ruineux, il s'ensuit aussi qu'aucun péché ne saurait être considéré comme péché naturel. Car ce qui est essentiellement l'œuvre de la volonté ne saurait devenir une propriété de la substance : quoique tu penses qu'il en a été ainsi. il est bien plus incontestable encore que le Dieu bon ne crée jamais des hommes mauvais. D'où il suit manifestement que les petits enfants, dont Dieu est le créateur, ne peuvent être souillés d'aucun péché.
Aug. Il est incontestable que le Dieu bon ne crée point des hommes mauvais, comme il est incontestable que le Dieu sage ne crée point des hommes dépourvus de sens et de raison. Si tu dis : Mais le Dieu sage crée des hommes dépourvus de sens et de raison, on te répondra : Pourquoi donc le Dieu bon ne pourrait-il pas aussi créer des hommes mauvais? Ainsi, lorsque tu chercheras sérieusement à savoir comment des hommes créés par Dieu peuvent naître dépourvus de sens et de raison, tes efforts auront peut-être pour résultat de te faire découvrir la souillure de notre origine, à toi qui ne veux pas reconnaître l'existence du péché originel. Ou bien consens-tu à dire que, dans cet heureux séjour du paradis, lors même qu'aucun péché. n'y eût été commis précédemment, certains hommes auraient pu maître privés de la faculté même de raisonner et incapables d'être instruits, ni avec le secours de la férule, ni même avec le secours du bâton? Si tu crains de tenir ce langage dont l'absurdité dépasserait les limites de la sottise la plus grossière : dis-nous donc comment une image de Dieu a pu mériter de naître avec un esprit tellement obtus que ni l'âge, ni le temps, ni l'étude et le travail le plus opiniâtre, ni l'industrie des maîtres, quelque habiles qu'ils soient, ni les châtiments et les coups ne pourront jamais lui faire acquérir, je ne dis pas la sagesse, mais aucune sorte de connaissances utiles; explique-nous ce mystère, toi qui ne veux pas croire que le Dieu juste a chassé du paradis, c'est-à-dire du séjour de la félicité, la nature humaine flétrie et condamnée, de peur précisément que ni la mort temporelle, ni la mort éternelle ne vinssent frapper dans ce lieu, soit le corps de l'homme, soit l'homme tout entier, et que l'on ne vît dans ce séjour du bonheur ces maux si multipliés et si effroyables , auxquels nous voyons aujourd'hui tous les hommes assujettis dans leurs âmes et dans leurs corps; ces maux, dis-je, qui devaient naître fatalement d'une racine dépravée et punie et d'une masse devenue une masse de perdition; et afin que ces maux fussent infligés à l'homme, seulement sur cette terre qui a été destinée à être témoin de la condition malheureuse à laquelle les mortels ont été justement assujettis ; sur cette terre où la souillure du péché nous atteint dès avant notre naissance, et où ceux mêmes qui ont été régénérés ne sont pas pour cela délivrés de la souffrance qui les poursuit, au contraire, jusqu'au moment de leur mort corporelle.
