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Jul. Qui, en effet, si notre siècle n'est pas le dernier de tous, qui pourra croire, sur le témoignage des écrits historiques, qu'il ait existé un homme capable de penser et d'affirmer avec serment que ce qui était naturel n'était point naturel ; que ce qui était un effet de la génération n'était point un effet de la génération; que l'on ne devait pas attribuer à la dualité même de parents ce que l'on attribuait à certains hommes, uniquement parce qu'ils avaient été parents? J'espère que la génération qui doit nous succéder considérera ces discours comme une accusation mensongère plutôt que comme l'exposé d'une doctrine soutenue par aucun mortel. Voici, en effet, les ballottements pénibles, les nausées et les vomissements qu'éprouvent votre nation et votre foi ; vous dites : Les péchés des parents ne sauraient être transmis aux enfants par le fait seul que la nature humaine est communiquée à ceux-ci; car ce qui est l'effet du libre arbitre ne peut en aucune manière dépendre du sang; mais le péché d'Adam, quoiqu'il ait été accompli par un acte de volonté, est communiqué à tous les hommes en même temps que la nature humaine, parce que ce qui est l'effet du libre arbitre dépend du sang; vous ajoutez : Dieu ne condamne point les enfants à cause des péchés de leurs parents , car une telle condamnation serait un acte de suprême injustice; mais il condamne les enfants d'Adam à cause d'un péché commis par leurs parents, quoiqu'il soit impossible de venger sur eux ce péché, sans blesser ouvertement la justice; vous dites enfin : Ce n'est point par le fait même de la génération que les époux deviennent parents; Adam mérita le titre de père, uniquement parce qu'il engendra suivant les lois du mariage. Est-ce là gouverner sa course, ou seulement être ballotté au milieu des flots? Est-ce là digérer ou éprouver des nausées? Est-ce là prendre une nourriture substantielle ou vomir sans cesse? Tu affirmes ce que tu as nié, et tu nies ce que tu as affirmé dans les mêmes termes et dans les mêmes lignes; et tu t'irrites parce que nous ne conformons pas notre langage à celui d'un homme qui, épuisé par une maladie douloureuse, se trouve incapable de conserver les aliments qu'il prend !
Aug. Certes, nous sommes bien éloignés de dire que Dieu ne venge pas les péchés des autres pères sur leurs enfants; car les divines Ecritures attestent en une multitude d'endroits, et d'une manière tout à fait précise, que tels et tels péchés en particulier ont été vengés sur tel et tel enfant ; nous lisons même dans les livres sacrés que le roi Achab ayant commis un péché énorme, Dieu épargna ce prince et attendit que son fils fût monté sur le trône pour exercer sur lui sa vengeance[^1]. Mais quel esprit sera assez pénétrant pour découvrir de quelle manière, d'après quels principes et dans quelle mesure la justice divine venge les péchés des autres parents sur leurs enfants? Ç'est.pourquoi Dieu s'est réservé à lui-même les jugements de cette sorte, et il a défendu aux juges humains d'exercer de semblables vengeances. Cependant la désobéissance du premier homme, en qui le libre arbitre personnel était parfaitement intègre et absolument indépendant de toute inclination dépravée ; cette désobéissance, dis-je, fut un péché si énorme, que la nature humaine tout entière se trouva dégradée et flétrie par le fait même qu'elle fut dégradée et flétrie en Adam ; nous en avons une preuve manifeste dans cet enchaînement de maux sans fin qui affligent l'humanité, et qui, depuis les premiers pleurs de l'enfant au berceau jusqu'au dernier souffle du moribond, sont connus de tous, de telle sorte que ceux qui nient l'existence de ces maux, prouvent seulement, par cet aveuglement aussi horrible qu'il est incroyable, qu'ils y ont eux-mêmes plus de part : et c'est précisément ce que vous faites, vous qui, même après le jugement du Concile de Palestine, où Pélage en personne vous a condamnés comme partisans de cette doctrine, ne craignez pas de continuer à enseigner qu'Adam avait été assujetti à la mort au moment de sa création et que, soit qu'il commît, soit qu'il ne commît pas le péché, il devait mourir infailliblement. Mais poursuis encore, si tel est ton bon plaisir, et accuse de Manichéisme la multitude même de ces évêques assemblés en Palestine déclare hautement que Pélage s'est soumis un instant aux Manichéens afin de n'être point condamné par eux. Remplis le paradis des fruits que portent les passions déréglées; et répands au milieu de ses riantes prairies les maux si multipliés et si effroyables que nous voyons peser sur les enfants, comme si ces maux étaient, non pas des tortures infligées à titre de châtiment, mais les parfums naturels du printemps de la vie. Raille-toi de moi comme d'un homme ballotté au milieu des flots ; et cela au moment où toi-même tu péris englouti sous les flots : raille-toi de moi comme d'un homme qui éprouve des nausées et des vomissements; et cela au moment où toi-même tu es frappé d'une mort véritable et où le bruit de ton verbiage désordonné semble être plutôt le bruit des vers engendrés par ton cadavre en putréfaction : accuse-moi d'affirmer ce que j'ai nié et de nier ce que j'ai affirmé ; quoique toi-même tu aies donné plusieurs exemples de contradictions de ce genre, ceux en particulier qui ont été constatés par moi dans ton volume précédent; et que nos lecteurs puissent se convaincre par eux-mêmes que je n'ai jamais contredit mes propres paroles, et reconnaître que tu me calomnies odieusement en m'accusant de l'avoir fait : déclare que, épuisé par une maladie douloureuse, je n'ai pas la force de conserver la nourriture que je prends; toi qui n'ayant plus même un souffle de vie, ne saurais prendre la nourriture qu'on te présente.
- II Rois, XXI, 29.
