25.
Jul. Si tu réponds que, sous le nom de concupiscence, l'Apôtre a voulu désigner même l'usage modéré et honnête des plaisirs naturels, en sorte que la concupiscence de la chair semble condamnée par lui d'une manière générale et absolue : tu devras logiquement déclarer aussi que le sens des yeux, le monde lui-même et tout ce qui est dans le monde, a été créé parle démon ; car, suivant toi, saint Jean enseigne qu'aucune de ces choses ne vient de Dieu. Certes, si tu acceptes cette conclusion, tu ne deviendras pas manichéen, car tu l'es aujourd'hui même ; mais, après avoir pendant longtemps combattu avec les mêmes armes que Manès, tu te rangeras ouvertement parmi ses disciples. Si, au contraire, redoutant de dévoiler ainsi ton erreur, tu réponds que, sous le nom de concupiscence de la chair, de concupiscence des yeux et sous le nom de monde, l'Apôtre n'a point désigné les choses mêmes qui n'ont rien que d'innocent tant qu'on respecte, dans l'usage qu'on en fait, les limites de l'honnêteté, et qui deviennent répréhensibles seulement lorsqu'on se laisse entraîner par elles à des excès déréglés : si tu réponds de cette manière, il s'ensuivra manifestement , comme nous l'avons déjà démontré dans notre premier ouvrage, que ce qui est condamnable dans la concupiscence naturelle , ce n'est point sa nature, ni la diversité des objets vers lesquels elle nous porte, ou des sens qui lui servent d'instruments, mais seulement les excès auxquels parfois elle nous entraîne. Enferme-toi dons; à l'avenir dans un silence prudent et modeste au sujet de ces paroles de l'Apôtre ; car, si tu venais à les souiller même par une allusion éloignée, l'inanité de ta défense et la vérité de l'accusation portée contre toi se trouveraient fatalement dévoilées.
Aug. Mais, ô discoureur opiniâtre et indomptable , ces limites dans lesquelles tu déclares qu'il est permis d'obéir à la concupiscence ne sont plus respectées dès que l'on cède volontairement aux entraînements de celle-ci et qu'on se livre aux excès qu'elle inspire. Et, d'autre part, s'abstenir de ces excès, c'est résister au mal. Car, une chose à laquelle un ne peut consentir sans commettre le mal, et à laquelle on ne saurait résister sans faire le bien, cette chose n'est-elle pas mauvaise manifestement? Celui donc qui veut vivre honnêtement, ne doit pas ton. sentir aux suggestions de cette chose mauvaise dont tu fais l'éloge ; et celui qui veut vivre chrétiennement, ne doit pas souscrire à cet éloge fait par toi d'une chose mauvaise; d'où il suit que, s'il ne veut pas se laisser séduire par vous, il doit savoir que la concupiscence de la chair est mauvaise en elle même ; et, s'il veut échapper a la fois à votre erreur et à celle des Manichéens, il doit savoir d'où vient cette concupiscence.
