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Jul. Car tu refuses de blâmer avec le manichéen les pourceaux et les chèvres, quoique tu sois d'accord avec eux pour condamner et flétrir la nature humaine ; quoique avec eux aussi tu nies, non pas que le Christ ait été revêtu d'une apparence de chair, mais qu'il nous ait laissé des exemples vraiment clignes d'exciter notre émulation et notre zèle. Ailleurs tu écartes, ou du moins tu feins un moment d'écarter de Jésus-Christ le péché naturel, parce que tu crains de paraître assujettir le Fils de Dieu à la puissance du démon, ce que Manès lui-même n'a point fait. Mais tu te fais en même temps le panégyriste de Jérôme, de cet homme qui a poussé l'audace du blasphème jusqu'à dire que le Sauveur était familiarisé avec des péchés volontaires. C'est ainsi que tu te repais successivement et invariablement des maximes les plus ignobles et des rêveries les plus absurdes de tes amis; les catholiques seuls ont part à tes colères et à tes injures, et cela parce qu'ils prétendent que Dieu n'est point l'auteur du mal, que les hommes créés par lui ne sont point mauvais naturellement, que les lois de Dieu sont jutes, que ses images ont le pouvoir d'éviter le mal et de faire le bien ; que le Christ n'a commis aucun péché et que la pureté de ses membres, la sainteté de ses préceptes aussi bien que l'équité de ses jugements sont au-dessus de toute atteinte. Mais si nous ne réussissons qu'à t'aigrir davantage à mesure que nous affirmons la vérité avec plus d'énergie, nous avons du moins la ferme confiance que nos paroles feront naître la lumière dans les esprits judicieux, et que plusieurs parmi ceux que tes mensonges ont égarés misérablement; pourront être ramenés dans la bonne voie.
Aug. Par rapport aux exemples que le Christ nous a laissés, je t'ai déjà fait précédemment cette réponse : Nous ne devons pas nier la sublime excellence de celui qui, possédant toute l'intégrité de la nature humaine, bien qu'il fût né de l'Esprit et que la concupiscence charnelle n'est point eu de part à sa conception, a mené sur la terre une vie incomparablement plus juste que celle d'aucun autre homme ; mais d'autre part nous ne devons pas non plus chercher dans cette excellence ineffable une excuse pour nous dis. penser de.,Jravailler autant qu'il est en nous à imiter cet auguste modèle. Les époux fidèles n'imitent point sa virginité; et cependant, en tant qu'ils fuient l'adultère et tout commerce illicite , ils deviennent ses imitateurs : ceux qui vivent saintement dans le célibat l'imitent d'une manière encore plus parfaite, mais ils ne peuvent pas pour cela l'imiter en tant qu'il a été exempt, non-seulement de toute action coupable, mais de toute convoitise mauvaise. (Pour vivre saintement dans le célibat il faut s'abstenir de tout commerce charnel, puisque le mariage seul peut rendre ce commerce légitime.) Est-il donc étonnant que celui qui était né de l'Esprit et de la Vierge, ait été exempt de tout mal ? Et ne faut-il pas être plongé soi-même dans l'abîme des maux les plus effroyables, pour oser nier que l'on doive considérer comme un mal ce contre quoi les saints implorent chaque jour le secours du l'ère, conformément aux enseignements du Seigneur lui-même ? Car, quand nous disons: « Ne nous induisez pas en tentation[^1] », nous implorons le secours de Dieu contre notre concupiscence. « Chacun en effet », nous dit l'Ecriture, « est tenté par sa propre concupiscence, qui l'entraîne et qui le séduit[^2] ». Fasse donc le Père, à qui nous adressons cette prière, que n'ayant jamais la témérité de dire que ce à quoi la concupiscence charnelle nous porte, ne vient point du Père, nous osions avancer que cette concupiscence elle-même est l'oeuvre de celui-ci ; en d'autres termes, que l'on doit considérer comme un mal ce à quoi nous sommes entraînés par nos désirs charnels, mais que ces désirs eux-mêmes ne sont point mauvais. Or, si la vérité nous oblige à proclamer que cette concupiscence est mauvaise ; il s'ensuit nécessairement que celui qui est né exempt de tout mal, n'y était point assujetti et, par là même, non-seulement il n'a point commis de péché, mais le désir même du péché ne s'est jamais élevé dans son coeur. C'est pourquoi , quand nous ne commettons pas le péché, nous devenons ses imitateurs, non pas en ce sens que le désir du péché ne s'allume point dans notre coeur, mais en ce sens que nous ne consentons point à ce désir : quoique même, en imitant ainsi le Saint des saints par une vie honnête et irréprochable, nous ne laissions pas d'avoir sujet de dire dans nos prières : « Pardonnez-nous nos offenses[^3] ». Du reste, quand j'ai fait l'éloge de Jérôme, je n'ai point dit de lui ce que Pélage a dit d'Ambroise ; je n'ai point dit que ses ennemis mêmes n'ont jamais osé attaquer ni sa loi, ni son intelligence très-pure des Ecritures[^4]. D',où il suit que j'ai le droit de blâmer toute parole qui me paraît blâmable dans les écrits.d'un ami, aussi bien que dans mes propres écrits. Mais autre chose est une parole erronée, qui est échappée quelque part à un catholique, autre chose, est une erreur considérable enseignée ou défendue avec une opiniâtreté d'hérétique.
Matth. VI, 13.
Jacq. I, 13.
Matth. VI, 12.
De la grâce du Christ, n. 46, 47.
