112.
Jul. Mais il est heureux pour nous que tu nous aies appris toi-même le premier à ne pas nous laisser effrayer -par l'autorité de ces sortes de personnages. En effet, saint Pélage ayant cité les noms d'Ambroise et de Cyprien comme de deux hommes vénérables qui dans leurs livres s'étaient faits les défenseurs éloquents du libre arbitre, tu as répondu, dans le livre adressé par toi à Timase contre le libre arbitre, qu'à tes yeux l'autorité de ces sortes de personnages était nulle et sans valeur aucune ; tu as même ajouté que, grâce aux progrès que le temps et les années leur avaient permis de faire dans la voie de la sainteté, ils s'étaient purifiés de tout ce qu'il avait pu y avoir de répréhensible dans leurs premiers sentiments[^1]. Si je rapporte ici ces paroles de ton livre à Timase, c'est uniquement afin que désormais tu rougisses de chercher dans des noms propres un moyen trop facile en vérité de rendre tes adversaires odieux et d'exciter contre eux des haines profondes et violentes. Car les maximes, soit d'Ambroise, soit des autres docteurs dont vous essayez de flétrir la renommée en les associant à vos erreurs, peuvent très-bien recevoir une interprétation claire et bénigne.
Aug. Qui croirait que ton esprit ait pu s'obscurcir et s'aveugler à ce point, si l'on n'en avait ici la preuve écrite et irrécusable? Tu déclares d'abord que si j'avais pu rencontrer ou découvrir quelque autorité plus imposante, je me serais abstenu de citer des paroles, ou, pour me servir de toit expression, des bribes tirées d'écrivains ordinaires ; puis tu ajoutes immédiatement que Pélage, décoré par toi du titre de saint, a, dans sa défense du libre arbitre, invoqué le témoignage et l'autorité vénérable de Cyprien et d'Ambroise ; et tu ne remarques pas que cette seconde proposition fait retomber sur ton maître et sui votre hérésie elle-même le, blâme prononcé par la première. Car, d'après le principe posé par toi en premier lieu, ;si Pélage avait trouvé dans les livres canoniques quelque témoignage plus imposant en faveur de la thèse qu'il défendait, il se serait abstenu d'invoquer le témoignage des controversistes. Comment pourrais-tu écrire de pareilles choses, si le nom seul d'Ambroise ne portait pas le trouble dans ton esprit, et si tune comprenais trop bien que Pélage trouve en lui un adversaire redoutable? « Mais », dis-tu, « Augustin lui-même nous a appris le premier à ne pas nous laisser effrayer par l'autorité de ces sortes de personnages », c'est-à-dire par l'autorité d'Ambroise et de ceux qui ont enseigné la même doctrine que lui. Certes, cette autorité pèse sur toi de telle sorte que, non-seulement elle t'accable et te renversé, mais elle te broie et te rend semblable à cette poussière que le vent enlève de la surface de la terre[^2]. En effet, ces évêques de Dieu si nombreux et si vénérables, si saints et si illustres, ces hommes-qui,-après avoir été les enfants dociles de l'Eglise catholique, sont devenus nos pères dans la foi, et qui ont enseigné fidèlement la vérité telle qu'ils l'avaient apprise de la bouche de leur mère ; ces évêques, dis-je, quand ils ont parlé du péché du premier homme et de la transmission de ce péché à toutes les générations humaines , n'ont point tenu un langage différent les uns des autres, et on ne les a jamais surpris en contradiction avec eux-mêmes; telle a été, au contraire, l'unanimité de leurs sentiments et la perpétuité constante de leurs enseignements que, pour quiconque ne lit pas leurs écrits avec un esprit prévenu et rempli des préjugés de l'hérésie, il n'est pas possible de douter que la sainte Ecriture doive, à ce sujet, être interprétée comme ils l'ont interprétée, et la foi catholique être entendue comme ils l'ont entendue. Toi-même tu te sens tellement accablé et comme écrasé sous le poids de leur autorité, que tu entreprends de défendre, en les interprétant d'une manière claire et bénigne », celles de leurs paroles qui sont en contradiction manifeste et palpable avec ta propre doctrine. Ecoutons donc cette interprétation claire et bénigne, quoique, si tu réussis réellement à justifier ces paroles, je te demanderai alors comment tu peux me faire un crime de les avoir invoquées et citées le premier. Car les maximes que tu détestes et que tu attaques dans mes écrits, sont précisément celles que tu prétends expliquer et justifier dans les leurs. Si, au contraire, tu ne les justifies pas réellement, et que, .sous prétexte de les défendre, tu cherches seulement à les attaquer d'une manière plus habile et mieux déguisée, à Dieu ne plaise que nous considérions cette interprétation comme une interprétation claire et bénigne ; dans ce cas, tes discours ne seraient pas autre chose qu'une adulation dérisoire décorée du titre de panégyrique, de peur que tes injures et tes calomnies n'excitent tout d'abord la colère des peuples catholiques habitués à vénérer ces grands, hommes.
De la Nature et de la Grâce, n. 71 et suiv.
Ps. I, 4.
