53.
Jul. Bien qu'il soit né d'une vierge afin que sa naissance même fût un miracle, il n'a point méprisé pour cela le caractère de la virilité ; car, si nous en croyons le témoignage de l'apôtre saint Pierre, dans son premier discours aux Juifs[^1], il en a été revêtu réellement, il en a pris tous les organes intérieurs et extérieurs, et enfin il était homme véritable et parfait. La vertu de chasteté brillait en lui plus resplendissante et plus pure que les rayons du soleil; il veillait sur son esprit et sur ses yeux avec un soin dont rien ne put jamais le distraire; mais le sommeil auquel il se livrait, la nourriture qu'il prenait, la barbe qu'il portait, les sueurs et les fatigues qu'il éprouvait, la croix, instrument de son supplice, la lance même dont son coeur fut percé, attestent que cette chasteté inviolable et cette vigilance continuelle étaient l'effet de la force de son esprit, non point de la faiblesse de sa chair; que chacun des sens de son corps était accessible aux mouvements de la concupiscence charnelle ; que ses membres étaient des membres véritables, parfaitement intègres et de la même nature que ceux des autres hommes. Il n'était donc pas privé de la faculté de sentir par les organes de son corps, mais cette faculté ne s'exerçait que sous l'empire de sa volonté. Ce qui rend ici la foi catholique victorieuse des gentils et des Manichéens, c'est que la parole de la chair du Sauveur, aussi bien que la parole de sa croix, est une folie pour ceux qui se perdent, tandis qu'elle est la force de Dieu pour ceux qui doivent être du nombre des élus. Et ce qui nous révèle l'immensité infinie de la charité du Fils de Dieu à notre égard , c'est précisément qu'il a pris, pour devenir notre médiateur, tous ces organes et tous ces sens contre lesquels l'impiété manichéenne a épuisé le vocabulaire des termes de mépris. Je ne trouve donc rien dans mon Seigneur qui doive me faire rougir : je crois fermement à la réalité des membres dont il a voulu être revêtu pour mon salut; et la vérité des exemples qu'il m'a donnés fait toute ma force et mon appui inébranlable !
Aug. Autre chose est la réalité des membres de Jésus-Christ, qui n'est contestée par aucun chrétien; autre chose est cette inclination naturelle et violente qui porte l'homme au péché et que tu prétends attribuer à Jésus-Christ. Suivant toi, la concupiscence de la chair, c'est-à-dire ces désirs voluptueux que tu qualifies volontiers du nom de concupiscence naturelle, sont bons en eux-mêmes ; mais les excès de cette concupiscence sont condamnables en ce sens que personne ne peut laisser aller ses désirs au-delà des limites permises, sans faire un usage mauvais d'une chose bonne, et par là même sans commettre une faute; dès lors, au contraire, que les désirs de l'homme s'arrêtent aux limites fixées par les lois de l'honnêteté, et qu'il ne leur permet pas de s'étendre plus loin, il fait un bon usage d'une chose bonne et par là même il mérite des éloges. D'où il suit que, ceux-ci étant nés avec un penchant plus violent, ceux-là avec un penchant moins violent vers les plaisirs de la chair, si les uns et les autres résistent à ce penchant et mènent une vie chaste, tu seras obligé de dire que les premiers font un bon usage d'un bien plus grand, et les seconds d'un bien moins considérable. Et il faudra conclure de ces principes que l'homme est d'autant plus riche de ce bien prétendu, que les passions de sa chair sont plus ardentes; qu'il doit soutenir, par amour de la chasteté et contre la convoitise naturelle, des combats d'autant plus pénibles, qu'il se trouve plus abondamment pourvu de ce bien naturel; et par là même aussi que sa vertu est d'autant plus digne d'éloges qu'il est obligé, pour lutter contre ce bien plus considérable, de faire des efforts plus grands; car il résisterait plus facilement à un bien moins considérable. Jésus-Christ ayant été, sans aucun doute, le plus chaste de tous les êtres revêtus d'une chair mortelle, tu lui attribueras nécessairement une convoitise charnelle d'autant plus ardente que tu ne saurais trouver personne qui ait eu plus de force pour résister à cette même convoitise. Et il pourra dire alors, sans mériter d'être accusé de fourberie : Imitez ma chasteté, en triomphant des inclinations violentes et incontestables de votre nature : ces inclinations sont bonnes en elles-mêmes; mais on doit cependant les réprimer et les vaincre : elles étaient plus violentes encore dans ma chair; je les ai réprimées néanmoins, je les ai vaincues, et vous n'avez pas le droit de me dire; Vous avez triomphé, vous avez mené dans une chair mortelle une vie parfaitement chaste , parce que, par un heureux privilège de votre nature, les flammes de la convoitise étaient à peine allumées en vous, et il vous était très-facile de les éteindre. Soyez donc chastes, car, afin que-vous ne puissiez apporter aucune excuse pour vous dispenser de travailler à devenir mes imitateurs, j'ai voulu être assujetti en naissant à une convoitise plus ardente que la vôtre, et cependant je n'ai jamais permis à cette convoitise enflammée d'aller au-delà des limites permises. Telles sont les conséquences horribles, monstrueuses, de votre hérésie.
- Actes, II, 22, 33.
