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Jul. Sans aucun doute, ces hommes si éclairés, ces prêtres catholiques accepteraient cette conclusion ; ils comprendraient que, soit dans le sens de la chair, soit dans le fruit de la conception, il n y a absolument rien qui soit l'oeuvre d'un autre que du Dieu véritable ; mais aussi que Dieu n'a rien fait de mauvais et que le mal n'est pas autre chose, en soi, qu'une volonté mauvaise commettant le péché sans aucune contrainte naturelle ; et par là même ils déclareraient que les Manichéens et les partisans de la transmission du péché ont été brisés et broyés par les foudres resplendissants de la vérité catholique.
Aug. Tu prétends défendre et justifier les paroles de ces auteurs que tu qualifies d'hommes éclairés et de prêtres catholiques; et tu ne vois pas que cette affirmation est le plus impudent de tous les mensonges, s'il est vrai que ces paroles mêmes sont détruites par tes foudres ! Si au contraire elles sont réellement défendues et justifiées par toi, de telle sorte qu'elles subsistent dans toute leur intégrité, c'est toi-même alors qui ès foudroyé par elles. Quand Ambroise déclare que, parmi ceux dont la naissance est le fruit de l'union de l'un et de l'autre sexe, personne n'est exempt de péché, il énonce une maxime ou contraire ou conforme à la vérité. Si tu prétends que cette maxime est fausse, il s'ensuit nécessairement que, bien loin de les défendre et de les justifier, tu attaques les paroles de ces hommes éclairés, de ces prêtres à qui tu reconnais cependant le titre de catholiques. Si, au contraire, afin de pouvoir défendre et justifier véritablement les paroles de ces grands hommes, tu nous accordes que cette maxime est vraie ; c'est donc toi-même qui es foudroyé par celles-là. Comment dès lors oses-tu avancer en des termes pompeux et pleins de jactance que, si ces très-heureux et très-doctes hommes avaient entendu tes syllogismes, ils auraient déclaré que nous, qualifiés par toi de « Manichéens et de partisans de la transmission du péché, nous avons été brisés et broyés par les foudres resplendissants de la vérité catholique ? » Ils prononceraient donc contre eux-mêmes et feraient voir qu'ils auraient été, eux aussi avec nous, détruits et anéantis par tes foudres. Pourquoi n'oses-tu pas exprimer hautement ce que tu es convaincu d'enseigner d'une manière indirecte, et sous une forme déguisée ? Nous confessons avec Ambroise l'existence du péché originel, et toi tu lances la foudre avec une puissance telle que, pour cette maxime enseignée par l'évêque de Milan aussi bien que par nous, nous sommes brisés et broyés, tandis que celui-ci est justifié? Tu ne prétends pas sans doute parler sérieusement : tu ne cherches pas à établir une distinction entre Ambroise et nous ; tu diriges à la fois tes accusations contre nous et contre lui : et cependant il ne t'est pas possible de lancer tes foudres soit sur notre tête, soit sur la sienne, sans démentir le témoignage de ton docteur Pélage qui a écrit que les ennemis mêmes d'Ambroise n'ont jamais osé attaquer ni sa foi, ni ses interprétations scripturaires si profondes et si pures[^1]. Aussi, bien qu'il soit suffisamment manifeste que tu es ennemi de la foi de ce grand évêque et de ses interprétations scripturaires si profondes et si pures , tu n'oses pas cependant l'attaquer ouvertement; tu espères seulement qu'en censurant mes paroles, tu arriveras à faire voir tout ce qu'il y a de mauvais dans les siennes. O malheureux athlète blessé mortellement , mais dissimulant opiniâtrement ta blessure, te voilà contraint par une force invincible à savourer ce qu'il y a de plus infect dans le bourbier du mensonge : vainement tu cherches à faire paraître la vigueur impétueuse d'un maître du tonnerre, alors que tu es réduit à aspirer la fumée qui s'échappe de ton propre corps foudroyé. Les raisons à l'aide desquelles tu prétends persuader à Ambroise et aux autres docteurs partisans de la doctrine d'Ambroise, que le péché originel n'existe point , sont « que les corps ont été formés et le mariage institué par Dieu, que sans l'union charnelle le genre humain ne pourrait se reproduire ». Nous t'accordons volontiers ces propositions, ainsi que cette autre ajoutée ensuite par toi: « La conception et l'union charnelle doivent être attribuées à l'auteur même des corps »: pourvu du moins qu'en énonçant cette dernière proposition, tu aies entendu parler de l'union conjugale. Toutefois, bien que cette maxime soit en elle même d'une vérité incontestable, elle n'est rien moins qu'une con. séquence logique des prémisses d'oie tu prétends la déduire : autrement, quand tu dis: « Si les corps ont été formés par Dieu seul, si l'union charnelle ne peut s'accomplir que par le moyen des corps; il s'ensuit nécessairement que l'union charnelle doit être attribuée à l'auteur même des corps »; un autre pourrait dire en établissant un raisonnement analogue : Si les corps ont été formés par Dieu seul, si l'adultère ne peut être commis que par le moyen des corps; il s'ensuit nécessairement que l'adultère doit être attribué à l'auteur même des corps. Tu vois tout ce qu'il y aurait d'injurieux pour la majesté divine dans un tel langage, et combien sont détestables les conséquences de tes syllogismes. De même donc qu'on n'a point le droit d'attribuer l'adultère à Dieu, sous prétexte que l'adultère ne peut être commis que par le moyen des corps dont Dieu est l'auteur on n'est pas non plus autorisé à attribuer à Dieu l'union charnelle par cette raison précisément que cette union ne s'accomplit que par le moyen des corps dont Dieu seul est l'auteur. Nous reconnaissons cependant que l'union conjugale, à l'exclusion de toute autre, et quand elle s'accomplit en vue de procréer des enfants, doit être attribuée à Dieu comme à son premier auteur : non point parce que cette maxime est une conséquence logique des prémisses posées par toi, mais parce que, envisagée sous un autre rapport, elle apparaît absolument vraie et incontestable. Quant à la conclusion ultérieure que tu cherches à déduire de ces différentes propositions, elle ne se présente ni avec l'autorité d'une déduction logique, ni avec aucun caractère de vérité intrinsèque. Parce que Dieu a formé les corps, parce que Dieu a institué le mariage et que l'enfant ne commence à exister dans le sein de sa mère que par suite de l'union des époux; parce que Dieu crée les petits mêmes des animaux et les forme dans le sein de leur mère; il ne s'ensuit point que tu as le droit d'ajouter : « Donc, soit dans le sens de la chair, soit dans le fruit de l'union charnelle, il n'y a absolument rien qui ne soit l'oeuvre du vrai Dieu ». Quel fut en effet le siège du mal dont le démon et nos premiers parents se rendirent les auteurs, sinon le sens charnel du premier homme et de la première femme ? ce sens, dis-je, qui se trouva perverti et corrompu au moment même où ces derniers donnèrent leur assentiment au conseil abominable du démon et commirent le péché. Quelles furent aussi les victimes de tous les maux que le démon causa ensuite au genre humain, sinon les fruits de l'union des sexes, c'est-à-dire les enfants des hommes ? Mais comment peux-tu dire- que rien de ce qui est mal n'a été fait par Dieu ? » Est-ce que l'enfer n'est pas un mal pour les damnés? De plus, si l'on ajoute foi à ces paroles : « Le mal n'est pas autre chose qu'une volonté mauvaise commettant le péché en dehors de toute contrainte naturelle » : indépendamment de ces maux sans nombre que les anges et les hommes mauvais souffrent malgré eux, on ne devra plus craindre même les supplices éternels qui sont le plus grand de tous les maux et qui sont, non pas une volonté mauvaise, mais le châtiment d'une volonté mauvaise. Tels sont les raisonnements, tels sont les discours à l'aide desquels tu espères foudroyer tes adversaires, alors que ton propre coeur est déjà réduit en cendre.
- De !a Grâce de Jésus-Christ, n. 46, 47.
