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Jul. Les organes secrets de l'un et de l'autre sexe y sont nommés avec la même sécurité que les pieds et les genoux. Nous, au contraire, malgré l'autorité d'un tel exemple, nous ne laissons pas d'employer des expressions voilées et plus décentes : car celui-là s'exposerait à des reproches tout à fait légitimes et bien fondés, qui, sans y être contraint par les besoins de son argumentation, transgresserait ces règles de bienséance et d'honnêteté dont il n'est pas plus permis de s'écarter dans ses discours que dans ses actions, sauf les droits et les exigences du sujet que l'on traite. Ainsi donc, il demeure établi due la concupiscence naturelle ne saurait être condamnée à cause du sentiment de honte qu'elle fait naître en nous; elle trouve au contraire sa justification dans la sublime excellence de son auteur, non pas en ce sens qu'elle soit une chose éminemment bonne, puisqu'elle est commune à là fois aux hommes et aux animaux, mais en ce sens qu'elle est un instrument nécessaire à l'accomplissement de l'oeuvre de la chair, qu'elle ne saurait en aucune manière être attribuée au démon, et qu'elle doit être considérée comme étant l'oeuvre de Celui qui a fait le monde et les corps; elle n'a jamais été condamnée et flétrie par personne, si ce n'est par Manès et par les partisans de la transmission du péché, héritiers de la doctrine de Manès : d'où il suit que ce péché naturel dont on ne pouvait prouver l'existence qu'en accusant la nature , s'évanouit comme un songe devant la lumière du raisonnement.
Aug. Voici que tu parles encore de concupiscence naturelle ; afin de détourner plus sûrement l'attention de tes lecteurs et de dérober ta cliente à leurs deux, tu la couvres, autant qu'il est en toi, sous le voile de paroles équivoques et trompeuses. Pourquoi ne dis-tu pas : La concupiscence de la chair, au lieu de dire : « La concupiscence naturelle? » Est-ce que le désir de la béatitude n'est pas, lui aussi, une concupiscence;naturelle? Pourquoi recourir à de pareilles équivoques de langage ? Appelle par son nom propre, la cliente dont tu as entrepris la défense : que crains-tu? Devons-nous supposer que ton esprit s'est troublé à la vue de l'origine abominable de cette cliente, et que tu as ainsi oublié son vrai nom ? Mais non, ce souvenir est parfaitement présent à ton esprit, et c'est par un acte formel de ta volonté que tu refuses de nommer la concupiscence de la chair: tu sais en effet que les éloges donnés par toi à cette concupiscence offenseraient ceux qui ont vu ces mots désigner constamment dans le langage des saintes Ecritures une chose mauvaise. En la désignant au contraire comme tu le fais, en l'appelant du nom de concupiscence naturelle, tu prétends la placer parmi les oeuvres de celui qui, comme tu le dis avec raison, « a créé le monde et les corps » ; tandis que saint Jean déclare expressément qu'elle n'est point l'oeuvre du Père[^3]: Dieu, il est vrai, a créé le monde et tous es corps sans exception ; mais si le corps assujetti à la corruption appesantit l'âme, si la chair convoite contre l'esprit, ce n'est point par l'effet de la nature même qui a été donnée à l'homme au moment de sa création, c'est uniquement par suite de la condamnation que l'homme a subie et du châtiment qui lui a été infligé. « La concupiscence », dis-tu, «n'a jamais été condamnée et flétrie par personne, si ce n'est par Manès et par les partisans de la transmission du péché, héritiers de la doctrine de Manès ». Je me réjouis de recevoir tes injures en compagnie de ceux dont tu oses bien réellement condamner les maximes en attaquant les miennes, mais dont tu n'oses prononcer les noms. Ne se fait-il pas, lui aussi, l'accusateur de ta cliente, celui qui déclare que la convoitise de la chair contre l'esprit noirs est devenue naturelle par suite de la prévarication du premier homme[^1]? Et quel est celui qui parle ainsi? C'est celui-là précisément dont, pour me servir des expressions de Pélage ton maître, les ennemis mêmes n'ont jamais osé attaquer ni la foi ni l'intelligence très-pure des Ecritures[^2]. Défends ta cliente contre cet accusateur. Epuise, pour la protéger, le vocabulaire des injures; insulte à la fois ce docteur que je m'honore d'avoir eu pour maître et cet autre docteur dont tu t'es fait le disciple, ruais sans souscrire aux éloges donnés par lui à Ambroise; montre à cette même cliente qu'elle a en toi un défenseur assez intrépide et assez fidèle; qu'il n'y a pas lieu pour elle d'en chercher un autre moins timide et qu'elle n'en trouverait même aucun autre qui fût plus incapable de rougir en la défendant.
Jean, II, 16.
Ambroise, liv. VII sur saint Luc, XII.
Pélage, du Libre Arbitre, liv. III; cité par Augustin, de la Grâce de Jésus-Christ, n. 46, 47.
