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Jul. Est-ce que nous t'avions parlé des oeuvres d'Adam, et s'agissait-il de savoir si celui-ci a péché volontairement ? Bientôt sans doute nous poserons cette question et nous prouverons que dans ton système il n'est pas possible d'y répondre. Pour le moment, si tu cherchais à tromper les autres, je le comprendrais peut-être; mais que tu cherches à t'en imposer à toi-même, n'est-ce pas une monstruosité tout à fait incompréhensible? car je ne saurais me persuader que tu aies commis de bonne foi, et non point par fourberie, une énormité aussi révoltante. Dans une seule et même phrase tu reconnais avec nous que le péché ne saurait exister sans un acte de la volonté, et. tu ajoutes immédiatement que ce même péché qui ne saurait, as-tu dit, subsister sans un. mouvement libre de l'âme, règne cependant sur tous les hommes sans aucun acte de la volonté.
Aug. Pourquoi mettre un mot de ton invention à la place de celui dont je me suis servi, et soustraire ainsi ma pensée telle que je l'ai exprimée, à ceux de tes auditeurs ou de tes lecteurs qui n'ont point lu mon ouvrage? Je n'ai point dit que le péché ne peut subsister, mais seulement qu'il ne peut exister sans un acte de la volonté ; quant à la différente qu'il y a entre l'une et l'autre expression, je vais la rendre sensible à l'aide d'un exemple tiré de tes propres paroles. Tu as dit: « L'enfant ne saurait exister dans le sein a maternel sans l'union des organes de la chair » ; et personne assurément ne contestera la vérité de cette proposition ; car l'enfant n'existe en effet dans le sein maternel que par suite de l'union de l'homme et de la femme. Si, au contraire, tu avais dit : L'enfant ne peut subsister dans le sein maternel sans l'union des organes de la chair; qui aurait accepté cette proposition comme conforme à la vérité? L'enfant subsiste dans le sein maternel après que l'acte charnel sans lequel il n'aurait pu exister, a été accompli; et ses parents, bien qu'ils aient été la came de son existence, n'ont plus aucune part dans sa conservation. De même aussi le péché, bien qu'il ne puisse exister, peut cependant subsister sans un acte de la volonté. C'est pourquoi, par rapport au péché d'Adam, en d'autres termes, par rapport à cette souillure originelle qui subsiste ,dans les descendants du premier homme jusqu'à ce qu'ils aient été purifiés en Jésus-Christ; quand on dit que, même dans ces descendants du premier homme, ce péché ne petit exister sans un acte de volonté, on entend parler de la volonté de celui qui l'a commis et qui l'a fait subsister tel qu'il subsiste aujourd'hui dans la postérité d'Adam ; on n'entend point parler de la volonté de celui qui l'aurait fait subsister, puisqu'il est certain que, une fois commis, il put subsister sans aucun acte de volonté humaine. Toutefois, si tu prétends que le mot exister et le mot subsister ont une seule et même signification, je ne dispute point sur les mots; mais alors je dirai que, le mot exister étant pris dans le sens de subsister, tout péché peut exister sans aucun acte de volonté. Quel est en effet celui qui, se trouvant coupable d'un péché auquel sa volonté n'a point eu de part, ferait un acte de volonté pour que ce péché subsistât en lui? Et cependant ce péché après avoir été commis par un acte de volonté, subsiste malgré la volonté de celui qu'il souille. Il subsiste jusqu'à ce qu'il soit remis; et dans ceux à qui il n'aura pas été remis, il subsistera éternellement ; car cette parole de l'Evangile n'est point une parole mensongère : « Il sera coupable d'un péché éternel[^1] ».
- Marc, III, 29.
