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Jul. Il dirige donc maintenant ses efforts contre ces paroles de mon livre et, tout d'abord, il rapporte celles-ci que je lui ai adressées sous la forme interrogative : « Tu déclares donc que les petits enfants sont soumis à la puissance du démon, précisément parce qu'ils naissent de l'union de l'un et de l'autre sexe? » Ecoutons la réponse qu'il fait à cette question: « Je déclare hautement», dit-il, « qu'ils sont soumis à la puissance du démon à cause d'un péché dont ils sont coupables : et ils ne sont pas exempts de péché précisément parce qu'ils naissent de cette union à laquelle préside fatalement une concupiscence honteuse, bien qu'elle serve à l'accomplissement d'une oeuvre honnête en soi. Ambroise, de très-heureuse mémoire, a tenu, lui aussi, le même langage[^1] ». O homme d'une perversité véritablement malheureuse ! O fourberie sacrilége ! O imposture ignoble !
Aug. Crie, éclate de toute la force de ta voix : ajoute encore à tes exclamations, ô malheureux frénétique ! Car il faut que tu sois en proie à une fureur qui ne te laisse plus aucune responsabilité morale, pour qualifier Ambroise de Manichéen. — A Dieu ne plaise, diras-tu, que je qualifie Ambroise de Manichéen. — Comment cela, je te prie? Serait-ce afin de montrer quelle est la puissance et la force du libre arbitre, que tu refuserais de tenir un langage que la logique la plus irrésistible t'oblige à tenir? Pourquoi donc me qualifies-tu d'un nom que tu déclares ne pouvoir être appliqué à Ambroise, puisque celui-ci a enseigné depuis si longtemps la même doctrine que j'enseigne aujourd'hui et que, par rapport à la question au sujet de laquelle tu me déclares manichéen, sa cause et la mienne sont une seule et même cause ? Ou bien, ne trouvant plus aucun moyen d'échapper à une conséquence trop rigoureuse et trop manifeste, chercherais-tu à simuler un sentiment de colère, et tes exclamations ne seraient-elles pas autre chose en réalité qu'un effet du trouble et de l'agitation qui règne dans ton âme? Mais je distingue parmi tes exclamations, celle-ci : « O homme d'une perversité malheureuse ! » Je suis sans doute un homme pervers, un homme malheureux, parce que j'embrasse la doctrine d'Ambroise: je serais au contraire le plus fortuné et le plus honnête de tous les hommes, si je me rangeais du parti de Julien. J'entends aussi ces mots: « O fourberie sacrilège ! » Nous faisons sans doute un acte de fourberie sacrilège quand nous opposons Ambroise à Julien nous ferions au contraire un acte de sagesse admirable, si nous préférions Julien à Ambroise. Mais que signifie cette troisième exclamation que j'ai entendue tomber de tes lèvres: « O imposture ignoble ! » Veux-tu dire que le langage et la pensée d'Ambroise sont contraires à la vérité? ou bien prétends-tu que nous lui attribuons faussement une doctrine qui n'était point la sienne, et qu'il n'y a absolument rien de commun entre ses maximes et celles que nous lui prêtons? ou bien enfin crois-tu que, ne comprenant pas le sens de ses paroles, nous les interprétons d'une manière conforme à notre erreur, tandis qu'en réalité elles n'ont rien que de conforme à la vérité ? Certes, tu ne veux pas porter l'insulte vis-à-vis d'un personnage tel qu'Ambroise, jusqu'à le qualifier de vil imposteur. Tu n'as pas non plus osé dire que cette doctrine avait été inventée par nous et que nous avions menti impudemment en la lui attribuant: ses écrits sont si bien connus de tous les docteurs, que tu aurais craint de te précipiter dans un pareil abîme. D'autre part, ces paroles sont tellement claires et tellement explicites que, non-seulement il ne faut pas une grande pénétration d'esprit pour les comprendre , mais on ne pourrait entreprendre de les expliquer sans faire preuve d'une puérilité ridicule. Au reste, afin que le lecteur puisse .juger par lui-même de la vérité de rues assertions, je citerai ici les paroles mêmes du bienheureux évêque catholique. Voici donc ce que dit ce grand homme dont, suivant le témoignage de votre Pélage, les ennemis mêmes n'ont jamais osé attaquer ni la foi, ni les interprétations si pures et si profondes des saintes Ecritures[^2] ; voici ce qu'il dit en parlant de la naissance du Seigneur : «C'est pourquoi, en tant qu'homme, il a subi toute sorte d'épreuves; il a essuyé tous les genres de tribulations, parce qu'il avait pris une nature semblable à la nôtre mais parce que sa naissance était l'œuvre de l'Esprit, il a été exempt de péché. Tout homme en effet est menteur, et personne n'est exempt de péché, si ce n'est Dieu seul. Il demeure donc établi », dit-il, « que, parmi ceux qui naissent de l'homme et de la femme, en d'autres termes, parmi ceux dont la naissance est le fruit de cette union des corps, nul ne doit être considéré comme exempt de péché; et par là même, quiconque est exempt de péché n'a point été engendré de cette manière[^3] ». Puisque, d'une part, tu ne saurais nier que ces paroles aient été écrites par Ambroise et que, d'autre part, tu vois qu'elles sont on ne peut plus claires et plus explicites ; pourquoi t'écries-tu : « O imposture ignoble ! » Sur qui prétends-tu faire tomber cette accusation, je te prie? sur lui ou sur moi? Si tu veux parler d'Ambroise, considère à qui s'adresse ton injure: si c'est moi que tu prétends accuser, considère combien ton accusation est contraire à la vérité. Mais, diras-tu, tu enseignes, toi aussi, cette doctrine. Oui certes, je l'enseigne, parce qu'elle est l'expression de la vérité : et si tu crois qu'elle n'est pas l'expression de la vérité, comment, alors que, lui et moi, nous enseignons une doctrine identique, comment puis-je mériter la qualification de manichéen, et lui, échapper à cette même qualification ? Avec combien plus de raison ne devons-nous pas nous-mêmes nous écrier ici : O honteuse acception de personnes ! O acception de personnes qui sans aucun doute serait pour toi un sujet trop légitime de honte et de confusion, si tu savais encore rougir, si la pudeur n'avait pas perdu tous ses droits sur ton front aussi bien que sur tes lèvres.
Ci-dessus, du Mariage et de la Conc., liv. II, n. 15.
Pelage, du Libre Arbitre, liv. III.
Ambroise, sur Isaïe.
