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Jul. Tuas cherché à aller au-devant de ces arguments et tu l'as fait avec une crainte de cerf et une ruse de renard : pour tromper plus sûrement la bonne foi du patron à qui tu adresses ton livre, tu prétends que le prince des ténèbres règne sur les oeuvres et sur l'image de Dieu à cause du sens naturel du corps; en d'autres termes, à cause de la concupiscence charnelle; et cela par la raison que le sens de la chair doit nécessairement appartenir au même auteur à qui appartient la substance même de la chair.
Aug. Tu ne sais ce que tu dis. Autre chose est le sens de la chair, autre chose est la concupiscence charnelle dont nous ressentons les mouvements à la fois par le sens de l'esprit et par le sens de la chair : comme les douleurs de la chair sont tout à fait différentes du sens même de la chair, bien que nous ne ressentions celle-là que par le moyen de celui-ci. Ainsi le sens de la chair qu'on nomme le toucher, nous fait éprouver une sensation différente suivant qu'il s'exerce sur un objet lisse ou sur un objet raboteux . la concupiscence de la chair au contraire fait naître en nous des mouvements identiques, soit qu'elle nous porte vers des choses défendues, soit qu'elle nous porte vers des choses permises c'est par un acte de notre intelligence, et non point par un effet de la concupiscence, due nous distinguons ce qui est permis et ce qui ne l'est pas; et nous ne pouvons nous abstenir des choses défendues, si ce n'est en résistant à cette concupiscence. Par là même il est impossible de mener une vie honnête, à moins que l'on ne réprime cette concupiscence mauvaise, que ton impudence, ou plutôt la démence horrible te porte à qualifier du nom de bonne; et tu n'as pas honte, tu n'as pas horreur d'en être arrivé à enseigner cette doctrine qui serait ridicule, si elle n'était pas abominable, savoir, que personne n'est délivré de ses maux, à moins qu'il rie résiste à cette concupiscence que tu proclames bonne en elle-même ! Ainsi donc, la concupiscence charnelle qui fait naître en nous des désirs coupables, ne vient point du Père. Vainement tu te persuades, ou plutôt, vainement tu prétends persuader aux autres que l'apôtre saint Jean, lorsqu'il énonçait cette maxime, entendait désigner par les mots de concupiscence, charnelle la luxure. Certes, si la luxure ne vient point du Père, on doit en dire autant de cette concupiscence à laquelle il nous est impossible d'accorder notre consentement, sans qu'elle engendre et produise aussitôt la luxure. Car, dis-moi, à quoi tendent les mouvements de cette concupiscence auxquels la loi nous ordonne de résister, sinon à nous faire accomplir les oeuvres de la luxure? Comment donc peut-on appeler bonne une chose qui tend à nous faire commettre le mal ? Pouvons-nous considérer comme une bonne qualité de notre nature une inclination qui nous porte au mal, qui nous y entraîne malgré nous? Nous avons besoin, ô Julien, d'être par un effet de la divine bonté guéris de ce mal : en faire l'éloge, ce serait de notre part le comble de l'orgueil, de l'iniquité, de l'impiété.
