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Jul. Ainsi, l'incarnation du Christ est le meilleur argument que l'on puisse faire valoir pour la justification des créatures sorties de ses mains: en venant à moi avec ma nature et avec sa volonté propre, qu'il m'offrait comme un modèle et comme une règle infaillible, et en déclarant que le démon n'avait trouvé en lui aucun péché, il a fait voir clairement que l'origine du péché ne doit pas être confondue avec l'origine de la chair, mais qu'elle réside uniquement dans la volonté personnelle. Enfin, on ne voit nulle part dans l’Ecriture que le Christ ait fui le péché que, suivant nos adversaires, il savait être contracté par les enfants dès le sein de leur mère; et cette même Ecriture déclare au contraire dans les termes les plus explicites que la justice du Sauveur en tant qu'homme était le fruit, non pas de cette diversité que l'on prétend avoir existé entre sa nature et la nôtre, mais des actes de sa volonté libre.
Aug. « On ne voit », dis-tu, « nulle part dans l'Ecriture, que le Christ ait fui ce péché que, suivant nos adversaires, il savait être contracté par les enfants dès le sein de leur mère » ; comment en effet aurait-il fui un péché qu'il n'avait point contracté et dont il venait effacer la souillure dans ceux qui l'avaient contracté? Comment, dis-je, aurait-il fui un péché dont les autres hommes ne peuvent être délivrés qu'en recourant à sa médiation toute-puissante? Tu ajoutes: «Cette même Ecriture déclare au contraire dans les termes les plus explicites, que la justice du Fils de Dieu en tant qu'homme était le fruit, non pas de la diversité que l'on prétend avoir existé entre sa nature et la nôtre, mais des actes de sa volonté libre ». N'y avait-il donc pas au moins, entre la nature du Christ et la nôtre, cette différence qu'il était né d'une vierge, et que par là même il se trouvait être, non pas seulement fils de l'homme, mais aussi Fils de Dieu.? Cette justice incomparable dont l'humanité du Sauveur était revêtue et que tu dis avoir été le fruit des actes de sa volonté libre, n'était-elle donc point aussi le fruit de cette union par suite de laquelle Dieu et l'homme ne formaient qu'une seule personne? Est-ce que, en défendant le libre arbitre contre la grâce de Dieu, vous vous seriez trouvés entraînés fatalement jusqu'à cet excès, de prétendre que le Médiateur lui-même a mérité par sa volonté propre de devenir Fils unique de Dieu, et de vous inscrire en faux contre la profession de foi de l'Eglise tout entière, savoir, contre la croyance en Jésus-Christ Fils unique de Dieu le Père tout-puissant, Notre-Seigneur, né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie ? Suivant vous, en effet, l'homme n'a pas été uni au Verbe de Dieu pour naître d'une vierge; mais l'homme né d'abord de la vierge a, par les vertus de son libre arbitre, mérité et obtenu d'être ensuite uni au Verbe de Dieu : ce mérite et ces vertus du libre arbitre n'ont pas été la conséquence et le fruit de cette union; c'est par eux au contraire que l'homme est parvenu à celle-ci: il n'est pas vrai non plus que le Verbe se soit fait chair dans le sein de la Vierge ; l'incarnation ne s'est opérée que plus tard par suite du mérite de l'homme et grâce aux vertus de son libre arbitre humain. D'où il suit nécessairement que si vous croyez que l'homme a été uni au Verbe de Dieu parce qu'il a eu la volonté d'y être uni; vous devez croire aussi qu'une foule d'autres hommes auraient pu ou pourraient également être unis à ce même Verbe, s'ils avaient eu ou s'ils avaient une volonté semblable; et par là même, s'il n'y a eu qu'un seul Homme-Dieu, on ne doit en accuser que la paresse et l'inertie de la volonté humaine, puisqu'il aurait pu y en avoir beaucoup d'autres, si les hommes l'avaient voulu. Si vous admettez ces conséquences, qu'est devenu en vous le sentiment de la pudeur? si vous ne les admettez pas, que devient votre hérésie ?
