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Jul. Excepté cette concupiscence charnelle, on ne pourrait sans se rendre coupable de sacrilège qualifier de honteuse aucune des autres choses qui sont l'oeuvre de Dieu ; mais Jésus-Christ n'était point assujetti à cette même concupiscence qui est un sujet (le honte pour les mortels. Voilà bien ce que tu as enseigné. Mais tu n'as pas vu cette objection qui se présente d'elle-même, savoir, que Jésus-Christ aurait dû, s'il en était ainsi, s'abstenir de prendre des vêtements pour paraître en public; sous peine de commettre le sacrilége dont tu parles ici, il aurait dû bannir de son âme tout sentiment de pudeur et ne jamais rougir de sa chair dans laquelle l'aiguillon de la concupiscence n'existait pas, et qui était à la fois l'oeuvre de son Père et la sienne propre. Si donc il est certain que la concupiscence n'existait pas en lui, et que cependant il évitait avec soin tout ce qui aurait pu blesser le sentiment de la pudeur; il est incontestable, même d'après les principes posés par toi , que l'on doit rougir du corps humain en lui-même, et non pas seulement des flammes auxquelles il sert d'aliment.
Aug. La conséquence naturelle de cette argumentation si ingénieuse et si subtile, doit. être que le baptême de Jean n'était pas donné pour l'expiation des péchés, puisqu'il fut donné à Jésus-Christ et que Jésus-Christ n'était coupable d'aucun péché absolument. Cependant, le Sauveur a pu recevoir ce baptême pour une raison différente de celle pour laquelle les autres le recevaient, c'est-à-dire , non pas à cause de la chair du péché dont il n'était pas revêtu, mais à cause de la ressemblance qui existait entre la chair du péché et la chair qu'il avait prise pour délivrer la chair du péché : donc il a pu aussi couvrir ses membres, non pas pour la même raison pour laquelle les autres couvraient les leurs, mais seulement pour se conformer à l'usage général et quoiqu'il n'y eût rien de honteux dans sa chair; de même qu'il a voulu être baptisé pour donner l'exemple aux pécheurs, bien qu'il n'y eût en lui aucun péché à expier, aucune souillure à effacer. Il convenait en effet de faire à l'égard de la ressemblance de la chair du péché ce que l'on était obligé rigoureusement de faire à l'égard de la chair du péché elle-même. D'ailleurs le regard de l'homme est toujours offensé à l'aspect d'un corps humain qui se présente dans un état de nudité là où l'usage des vêtements a prévalu. Les anges eux-mêmes, lorsqu'ils se sont montrés aux hommes sous des formes humaines, ont voulu paraître couverts de vêtements pour se conformer à l'usage des hommes. Mais si nous recherchons quelle peut être l'origine de cet usage, nous en trouvons la cause première dans le péché de ces auteurs du genre humain qui, aussi longtemps qu'ils furent innocents, vécurent dans un séjour de délices et de félicité incomparable, sans que leur nudité offensât jamais la décence ou la pudeur, parce que, la désobéissance de leur volonté n'ayant pas encore été châtiée par les révoltes de leur chair, ils n'avaient pas à rougir de désirs s'élevant dans celle-ci contrairement aux désirs de l'esprit. Les vêtements de Jésus-Christ ne t'empêcheront donc nullement d'être un impudent défenseur de la concupiscence de la chair.
