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Jul. Le lecteur attend peut-être que je lui explique maintenant en quel sens on doit entendre ces paroles : celui-là même qui en avait invoqué l'autorité, a démontré de la manière la plus évidente qu'elles ne favorisent ni la doctrine de la transmission du péché, ni les dogmes du manichéisme; car il a dit : « Quelle qu'ait été la nation dont il s'agissait en cet endroit, il est incontestable que l'auteur a voulu parler de certains hommes » ; or, s'il avait été question du péché originel, sans aucun doute cet auteur aurait parlé, non pas de quelques hommes, mais de tous les hommes. Les Manichéens, jeu effet, flétrissent la nature de tous les mortels, sans exception : mais, d'après le témoignage même de celui qui a prétendu y trouver un appui en faveur de sa thèse, les paroles dont nous recherchons le sens véritable, se rapportent à quelques hommes seulement, et non pas à tous les hommes. D'où il suit nécessairement qu'elles n'ont rien de commun avec la doctrine de la transmission du péché, puisqu'elles attaquent, non pas l'universalité, mais le plus grand nombre des hommes. Toutefois, ce n'est pas assez d'avoir démontré que ces paroles ne sauraient être invoquées à l'appui de cette doctrine impie : afin d'en mieux pénétrer le sens, rapprochons-les de certaines autres paroles écrites dans le même livre et par le même auteur. Celui-ci donc s'adresse à Dieu en ces termes : « Vous avez compassion de tous les hommes, parce que vous pouvez tout; et vous oubliez leurs péchés, dès qu'ils font pénitence. Car vous aimez tout ce qui est, et vous ne haïssez rien de tout ce que vous avez fait. Comment en effet une chose quelconque pourrait-elle subsister, si vous ne le vouliez point? Mais vous êtes indulgent envers tous, parce que tout est à vous, ô Seigneur, qui aimez les âmes. Votre esprit est bon à l'égard de tous: c'est pourquoi vous châtiez peu à peu ceux qui s'égarent, vous les avertissez des fautes qu'ils commettent et vous les instruisez, afin que , renonçant à ce qui est mal, ils croient en vous, ô Seigneur[^1]».
Aug. Comment Dieu a-t-il pitié de tous les hommes, puisqu'il est dit en un antre endroit de l'Ecriture : « Ne faites point de miséricorde à tous ceux qui commettent l'iniquité[^2] » ; sinon parce que, dans ce dernier texte, le mot tous indique seulement que, dans toutes les races humaines, il se trouve des hommes dont Dieu n'a point pitié; de même que, dans cet autre passage : « Vous payez la dîme de toute herbe[^3] », le mot toute désigne seulement toutes les sortes d'herbes? Mais de quoi te sert-il que l'auteur du livre de la Sagesse n'ait point parlé de tous les hommes, mais de certains hommes en particulier , quand il a dit que la malice leur est naturelle? Parce qu'il s'agissait en cet endroit de certains hommes en particulier, et non pas de tous les hommes, il ne s'ensuit point que cet auteur a voulu faire entendre qu'aucun des autres hommes ne ressemblait à ceux-là; puisque l'Apôtre dit : « Nous avons été, nous aussi, autrefois, enfants de colère par nature comme tous les autres hommes ». Et si, au moment où saint Paul écrivait ces paroles, non pas tous les Israélites, mais ceux d'entre les Israélites qui pratiquaient la piété, n'étaient plus semblables à ceux dont il a été dit : « La malice leur est naturelle » ; s'ils avaient même reçu le titre d'enfants de Dieu, ils devaient cette faveur, non pas à leur nature, mais à la grâce. Il faut rechercher aussi quel est le sens de ces paroles : « Vous aimez tout ce qui existe »; car il existe des hommes qui commettent l'iniquité, et il est écrit ailleurs : « Vous haïssez tous ceux qui commettent l'iniquité[^4] ». Dieu donc aime les pécheurs mêmes en tant qu'ils sont hommes, et il les hait en tant qu'ils sont pécheurs; il les condamne parce qu'ils sont pécheurs, et il les fait subsister parce qu'ils sont hommes: « Car vous ne haïssez rien de tout ce que vous avez fait ». Ainsi , Dieu aime les hommes jusqu'à-ce point : alors même qu'ils sont pécheurs, il les aime en tant qu'hommes, bien qu'il les haïsse en tant que pécheurs. D'où il suit que, d'une part, les pécheurs que Dieu hait, subsistent comme hommes, parce que Dieu aime son ouvrage; et, d'autre part, ils sont malheureux, parce que Dieu aime la justice.
Sag. XI, 24; XII, 2.
Ps. LVIII, 6.
Luc, XI, 42.
Ps. V, 7.
