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Jul. Mais c'est assez nous étendre sur ce sujet : passons maintenant à ce qui fait un des grands objets du débat qui s'agite entre nous; à cette difficulté sous le poids de laquelle le champion du manichéisme se voyant confondu et atterré, a fait. pour nous répondre des citations aussi fidèles que son propre langage était gracieux et élégant. Après avoir loué et approuvé celles de mes paroles que j'ai rapportées ci-dessus, et sans qu'aucun incident nouveau se soit produit dans la discussion, il aborde l'endroit de mon ouvrage où, pour remplir ma promesse, je complétais ainsi mon argumentation : je lui demandais d'abord comment des hommes créés par Dieu peuvent être soumis à la puissance du démon; puis je répondais en son propre nom : « Par suite du péché dont ils sont souillés, non point à cause de la nature qu'ils ont reçue » ; et enfin je répliquais à mon tour : « Mais tu as bien été obligé d'en convenir: de même que l'enfant ne saurait être conçu sans le concours des organes charnels, de même aussi le péché ne saurait exister sans le consentement de la volonté. Il faudra donc dire qu'au moment de leur conception les enfants ont déjà une volonté, quoiqu'ils n'aient pas, encore une âme, ou du moins qu'ils peuvent faire des actes de volonté au moment de leur naissance, bien qu'ils ne possèdent pas alors l'usage de la raison ». Notre adversaire donc entreprenant de réfuter cet endroit de mon ouvrage, ne cite que cette partie de ma réplique : « Mais de même que l'enfant ne peut être conçu sans le concours des organes charnels, de même aussi le péché ne saurait exister sans le consentement de la volonté » ; et il répond : « Oui certes, il en est ainsi ; et voilà précisément pourquoi l'Apôtre dit : Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et par le péché la mort; et la mort a passé ainsi dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché[^1]. Tous ont péché par la volonté mauvaise de cet homme unique, parce que tous étaient alors renfermés dans celui-ci, et ils durent nécessairement contracter la a souillure du péché dont il se rendit volontairement:coupable[^2]». Je prie le lecteur de vouloir bien se rendre compte par lui-même de la loyauté qui est apportée de part et d'autre dans ce débat. A quoi t'a-t-il servi, ô le plus. érudit de tous les bipèdes, de mutiler ainsi tria pensée? Bien que la partie de mon argument que tu as supprimée, soit l'explication de celle qui précède, la force de ma réplique ne subsiste-t-elle pas encore tout entière dans celles,de lues paroles que tu as si vaillamment affrontées ? J'avais fidèlement exposé la ;réponse que tu nous as faite déjà bien des fois, et tu as été obligé toi-même d'en convenir ; après t'avoir demandé comment de petits enfants créés par Dieu peuvent être sous la puissance du,démon, j'avais répondu en ton nom : « Par suite du péché dont ils sont souillés, non point à cause de la nature qu'ils ont reçue ». Certes, tu vois que j'avais agi ici avec la plus entière bonne foi. J'avais mis dans la bouche du partisan de la transmission du péché le langage qu'il tient ordinairement, bien que ce langage ne soit pas conforme à la vérité. Puis, j'avais répondu : « Mais de même que l'enfant ne peut être conçu sans le concours des organes charnels, de même aussi le péché ne saurait exister sans le consentement de la volonté». C'est ici que tuas mutilé notre argument avec autant d'impudence que de fourberie après avoir cité les paroles par lesquelles nous déclarions que le péché ne saurait pas plus exister en dehors de tout acte de volonté, que les enfants ne sauraient être conçus sans le concours des organes charnels: tu as supprimé ce que nous avions ajouté relativement à la volonté des enfants, et tu as répondu aussitôt : « Oui certes, il en est ainsi : et voilà précisément pourquoi l'Apôtre dit : Le péché est entré dans le monde par un seul homme : tous ont péché par la volonté mauvaise d'un seul ». Est-ce là répondre ? est-ce là discuter ? ou plutôt est-ce là se respecter et prendre souci de sa propre dignité? Les hommes instruits rient volontiers des subtilités sophistiques par lesquelles on cherche à se jouer de la simplicité d'un adversaire en adoptant les mêmes mots dont il fait usage ces sophismes, bien que la vérité y soit étrangère, ont du moins le mérite d'être couverts d'un vernis de décence et d'urbanité ; nous au contraire nous nous trouvons ici en présence d'une close qui, comme procédé de discussion, est une monstruosité, et cependant notre adversaire ne prend pas même la peine de voiler sous une apparence sophistique l'horrible nudité d'un langage dont la vérité est complètement absente. J'ai dit que le péché ne saurait exister sans le consentement d'une volonté libre : par le fait seul que ta admets ce principe, tu abjures cette maxime enseignée jusqu'alors par vous, savoir, que les hommes se trouvent souillés d'un péché naturellement et en dehors de tout acte de leur volonté propre.
Aug. Je n'avais lu de l'ouvrage dont tu parles que ce qui avait été transcrit sur la feuille qui m'a été envoyée. Dès que j'ai eu entre les mains tes livres d'où quelques maximes avaient été extraites je ne sais par qui, j'ai répondu à chacun de tes arguments. Nous disons, nous aussi, que le péché ne saurait exister en dehors de tout acte d'une volonté libre; mais nous n'abjurons pas pour cela, comme tu le prétends, notre doctrine de l'existence du péché originel : car le péché originel, comme tous les autres péchés, a son principe dans un acte de volonté libre, non point dans un acte de la volonté personnelle des petits enfants, mais dans un acte de la volonté de celui en qui tous commençaient déjà d'exister au moment où il souilla par un acte de volonté mauvaise la nature commune à tous. Nous ne disons donc point que les enfants font, au moment de leur conception ou de leur naissance, un acte de volonté peccamineux; mais bien que ce péché énorme fût commis par la volonté libre de celui qui, au moment même où il devint prévaricateur, communiqua sa propre souillure à la nature humaine tout entière ce qui a fait dire en toute vérité à un saint : « J'ai été conçu dans l'iniquité[^3] » ; et à un autre personnage également saint : « Qui est pur de toute souillure? Pas même l'enfant qui n'a vécu encore qu'un seul jour sur cette terre[^4] ». Ces paroles, qui sont le langage de la vérité même, sont aussi la réfutation la plus péremptoire et la plus décisive de tous tes discours vains et mensongers.
Rom. V, 12.
Du Mariage et de la Conc., liv. II, n. 15.
Ps. L, 7.
Job, XIV, 4, suiv. les LXX.
