10.
Jul. Voici, en effet, en quels termes je me suis exprimé : « Qu'y a-t-il donc dans les organes de la chair qui appartienne au démon et qui lui donne, pour me servir de tes propres expressions, un droit de propriété sur le fruit de ces organes? La diversité? mais cette diversité est une propriété des corps dont Dieu seul est l'auteur. L'acte même qu'ils servent à accomplir? mais a l'union charnelle a été à la fois instituée et bénie par Dieu. Serait-ce peut-être la procréation même des enfants? mais c'est précisément en vue de cette procréation que le mariage a été institué». Quelle pensée nouvelle est donc ici exprimée? Quelle maxime, différente de la conclusion que tu venais d'approuver, t'a paru mériter un blâme immédiatement après l'éloge que tu venais de faire des paroles précédentes? Certes, il est impossible de trouver ici aucune pensée, ni aucune maxime nouvelles : et par là même, comment interpréter une versatilité aussi étrange? puisque je n'ai introduit dans mon argumentation aucun principe nouveau, comment toi-même as-tu apprécié d'une manière tout à fait différente ces dernières paroles et celles qui les précèdent? n'est-il pas manifeste que ces éloges et cette critique te sont inspirés également par un sentiment de la plus noire perfidie, et que la passion a complètement égaré ta raison ?
Aug. C'est pour toi un sujet d'étonnement, qu'après avoir loué les oeuvres de Dieu, j'aie flétri la question insidieuse due tu m'as adressée ; car tu m'as interrogé en ces termes: « Qu'y a-t-il donc dans les organes de la chair dont le démon puisse revendiquer la propriété? » Puis, afin de persuader que dans les organes de la chair il n'y a rien qui appartienne au démon, tu as énuméré trois choses qui en réalité ne lui appartiennent pas, savoir, la diversité ou la différence qui sépare le sexe masculin du sexe féminin ; l'union, ou l'acte par lequel l'un et l'autre sexe concourent à la procréation des enfants; enfin l'oeuvre même de la génération, en d'autres termes, l'oeuvre même de la formation des enfants. Nous reconnaissons que ces trois choses auraient existé dans le paradis, alors même que personne n'aurait commis le péché: mais il est une autre chose qui n'y aurait point existé et que Adam et Eve ne connurent pas avant le jour où pour la première fois ils couvrirent leur nudité dont ils n'avaient pas rougi tant qu'ils avaient été innocents. Cette concupiscence charnelle qui fait naître dans la chair des désirs contraires à ceux de l'esprit, et à laquelle tous les hommes sans exception sont assujettis en naissant; cette opposition profonde qui règne entre la chair et l'esprit et qu'un docteur catholique, honoré des éloges les plus magnifiques de votre Pélage, avait appris par la voix de la tradition être devenue notre condition naturelle par suite de la prévarication du premier homme'; pourquoi as-tu observé à son égard un silence absolu? Quand tu m'as demandé par quoi le démon pouvait revendiquer un droit de propriété sur les organes de la chair, tu as nommé d'autres choses qui n'appartiennent pas au démon; mais de peur de répondre toi-même à la question que tu venais de m'adresser, tu n'as pas voulu nommer cette concupiscence qui est réellement la propriété du démon. J'ai flétri comme elle le méritait cette question posée d'une manière aussi insidieuse, et non pas les oeuvres de Dieu auxquelles je venais de rendre hommage comme c'était mon devoir. [^1]
- Ambr., liv. VII sur saint Luc, XII.
