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Mais enfin serait-ce donc sans raison que nos frères se seraient émus des paroles que nous venons de citer? Assurément non, En effet, ce nom d'Ancien Testament peut être interprété de deux manières, soit qu'on envisage l'autorité même des saintes Ecritures, soit qu'on se conforme uniquement à l'habitude du langage. Ecrivant aux Galates, saint Paul leur dit : « Dites-moi, je vous prie, vous qui voulez être sous la loi, n'avez-vous point lu la loi ? Car il est écrit qu'Abraham eut deux fils, l'un de la servante et l'autre de la femme libre. Mais celui qui naquit de la servante naquit selon la chair, et celui qui naquit de la femme libre naquit en vertu de la promesse. Tout ceci est une allégorie, car ces deux femmes sont les deux Testaments; le premier qui a été donné sur le mont Sinaï et n'engendre que des esclaves, est figuré par Agar. Le Sinaï est une montagne d'Arabie qui représente la Jérusalem d'ici-bas, laquelle est esclave avec ses enfants. Au contraire la Jérusalem d'en haut est libre, et c'est elle qui est notre mère ». Puisque, d'un côté, l'Ancien Testament s'applique à la servitude, comme le prouvent ces autres paroles : « Chassez la servante et son fils, car le fils de la servante ne sera point héritier avec le fils de la femme libre1 », et que de l'autre, le royaume des cieux s'applique à la liberté; comment donc le royaume des cieux peut-il se concilier avec l'Ancien Testament? Mais, comme je l'ai dit, nous désignons d'ordinaire, sous le nom d'Ancien Testament, toutes les Ecritures de la loi et des Prophètes telles qu'elles ont été révélées avant l'Incarnation et revêtues de l'autorité canonique. Or, pour peu qu'on ait de connaissance des lettres ecclésiastiques, peut-on ignorer que ces Ecritures ont pu renfermer la promesse du royaume des cieux, comme elles renfermaient celle du Nouveau Testament dont l'objet unique est le royaume des cieux? Nous en trouvons la preuve évidente dans ces mêmes Ecritures : « Voici venir les jours, dit le Seigneur, et j'accomplirai pour la maison d'Israël et pour la maison de Jacob un Nouveau Testament, non pas selon le Testament que j'ai donné à leurs pères, le jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir de la terre d'Egypte2 ». C'est sur le mont Sinaï que l'Ancien Testament a été promulgué. Or, le prophète Daniel n'était point encore là pour dire : « Les saints posséderont le royaume du Très-Haut ». Ces paroles prophétisaient la récompense, non pas de l'Ancien, mais du Nouveau Testament. Les Prophètes n'ont-ils pas annoncé également la venue de Jésus-Christ qui devait, dans son sang, faire la dédicace du Nouveau Testament? Les Apôtres en ont été constitués les ministres, selon cette parole de saint Paul : « C'est lui qui nous a rendus capables d'être les ministres du Nouveau Testament, non par la lettre, mais par l'esprit. Car la lettre tue, mais l'esprit vivifie3 ». Or, dans ce Testament qui a été si bien appelé l'Ancien Testament et qui a été donné sur le mont Sinaï, on ne trouve de récompenses clairement promises que les récompenses qui ont pour objet le bonheur de la terre. De là ce nom de Terre promise donné au pays dans lequel le peuple fut introduit après avoir longtemps erré dans le désert; là il espérait trouver la paix et la puissance, des triomphes continuels sur ses ennemis, une nombreuse postérité et des fruits de la terre en grande abondance; telles sont à peu près les promesses de l'Ancien Testament; Sans doute ces biens temporels sont la figure des biens spirituels réservés au Nouveau Testament; cependant celui qui embrasse la loi de Dieu dans l'attente de ces biens terrestres, se constitue par là même l'héritier de l'Ancien Testament.
En effet, l'Ancien Testament promet et accorde ce qui pouvait enflammer les désirs de l'homme ancien; mais en tant qu'il était une figure du Nouveau, il cherchait des hommes nouveaux. Pélage ne comprenait donc pas ce que disait le grand Apôtre dans ce rapprochement qu'il établit entre les deux Testaments représentés l'un par la servante et l'autre par la femme libre, attribuant au premier les enfants de la chair, et au second les enfants de. la promesse. « Ce ne sont pas », dit-il, « les enfants de la chair qui sont enfants de Dieu; mais ce sont les enfants de la promesse qui sont regardés comme formant la race d'Abraham4 ». Les enfants de la chair appartiennent donc à la Jérusalem terrestre, qui est servante, elle et ses fils; tandis que les enfants de la promesse appartiennent à la Jérusalem d'en haut, qui est notre mère libre et régnera éternellement dans le ciel. Comment alors ne pas distinguer ceux qui appartiennent au royaume de la terre et ceux qui appartiennent au royaume des cieux? Ceux qui, sous l'action de la grâce, quoique appartenant à l'ancienne loi, ont compris cette distinction, sont devenus enfants de la promesse, et dans les secrets desseins de Dieu, ont été regardés comme les héritiers du Nouveau Testament, quoique par la nécessité des temps et des circonstances ils aient été constitués les ministre de l'Ancien Testament.
