18.
A cette nouvelle, Arcadius mande Eutrope et le prive de sa charge. Eutrope se réfugie dans une église de chrétiens qui jouissait du droit d’asile. Comme Gaina pressait avec instance la mort d’Eutrope, et qu’il protestait que Tribigilde ne s’apaiserait jamais qu’on ne lui eût donné cette satisfaction, on viola l’asile, en arrachant Eutrope de l’église, et en le reléguant en Chypre où on le fit garder exactement. Comme Gaina insistait qu’on le fit mourir, ceux qui disposaient des affaires, sous l’autorité de l’empereur, éludèrent, par une subtilité fort grossière, le serment qu’ils lui avaient fait de lui conserver la vie. Car, comme s’ils eussent seulement juré de ne la lui point ôter à Constantinople, ils le firent venir de Chypre à Calcédoine, où il fut exécuté à mort. La fortune n’a jamais agi avec tant d’extravagance qu’envers lui, en l’élevant d’un côté au plus haut comble de grandeur qu’elle ait élevé aucun eunuque, et en l’opprimant de l’autre, sous prétexte de la haine que lui portaient les ennemis de l’empire. Au reste, bien que les entreprises de Gaina fussent toutes manifestes et toutes publiques, il les croyait fort secrètes et fort cachées. Comme il surpassait Tribigilde en dignité et en puissance, et qu’il était maître de ses sentiments, il fit, sous son nom, un traité avec l’empereur, et après avoir engagé l’un et l’autre par serment, il s’en retourna par la Phrygie et par la Lydie. Tribigilde le suivit, et passa à la tête de ses troupes proche de Sardes, capitale de Lydie, sans oser seulement la regarder. Quand il eut joint Gaina à Thyatire, il se repentit de n’avoir pas pillé Sardes qu’il aurait pu prendre sans peine.
Ainsi il résolut d’y retourner avec Gaina, et d’attaquer cette ville. Ils seraient venus à bout de cette résolution s’il n’était survenu une pluie extraordinaire qui détrempa la terre et grossit les rivières. Quand ils se furent séparés, Gaina alla vers la Bithynie, et Tribigilde vers l’Hellespont, chacun exposant en proie à l’avarice des soldats tout ce qui se présentait devant eux. Lorsque l’un fut à Calcédoine, et l’autre vers Lampsaque, Constantinople et l’empire même se trouvèrent réduits à la dernière extrémité. Gaina demanda que l’empereur le vint trouver, refusant de conférer avec tout autre qu’avec lui. L’empereur en étant demeuré d’accord, la conférence se fit hors de Calcédoine; dans un lieu bâti en l’honneur de la pieuse Euphémie, martyre, en considération du culte que l’on rend au Christ. Gaina et Tribigilde étant passés d’Asie en Europe, demandèrent qu’on leur livrât les premiers de l’empire pour les faire mourir, savoir: Aurélien qui était consul en cette année-là, Saturnin qui l’avait été, et Jean, dépositaire de tous les secrets d’Arcadius, et qu’on croyait être père du fils qui était attribué à ce prince. Quelque tyrannique que fût cette demande, il la fallut accorder. Lorsque Gaina eut ces trois hommes-là entre les mains, il se contenta de leur effleurer la peau avec la pointe de son épée, et de les envoyer en exil. Etant allé en Thrace, suivi de Tribigilde, il donna à l’Asie le loisir de respirer. Quand il fut à Constantinople, il en fit sortir les soldats romains et même les compagnies des gardes, et donna un ordre secret aux étrangers de l’attaquer. Il en partit après cela, sous prétexte de prendre un peu de repos et de se délasser de ses fatigues, et se retira en un lien distant de quarante stades de la ville, à dessein d’y retourner, lorsque les étrangers auraient commencé l’attaque.
