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Pendant qu’il roulait ces pensées dans son esprit, et qu’il était dans l’irrésolution, les étrangers se pressèrent d’exécuter la résolution qui avait été prise. Mais n’en ayant pu venir à bout, ils demeurèrent en repos jusqu’à ce que l’empereur eût déclaré plus ouvertement son sentiment touchant Stilicon. Sarus, qui surpassait les autres chefs des troupes alliées en force de corps et en dignité, s’étant mis à la tête de ceux qu’il commandait, tua pendant la nuit dans leurs lits les Huns qui gardaient Stilicon, pilla son bagage, se rendit maître de sa tente, et attendit ce qui arriverait. Stilicon ne se tenant pas trop assuré de la fidélité des étrangers qui étaient auprès de lui, parce qu’ils n’étaient pas d’accord entre eux-mêmes, se retira à Ravenne, et défendit de les recevoir dans les villes par où il passa, et où étaient leurs femmes et enfants.
Olympius, qui s’était rendu maître de l’esprit de l’empereur, envoya une lettre de ce prince aux soldats de Ravenne, par laquelle il leur était commandé de se saisir de Stilicon, et de le garder sans lui mettre les fers. Stilicon ayant eu avis de cet ordre, se retira la nuit dans une église de chrétiens. Ses domestiques et les gens qui étaient auprès de lui prirent les armes, et attendirent l’événement de cette affaire. A la pointe du jour, les soldats entrèrent dans l’église, et jurèrent en présence de l’évêque qu’ils n’avaient point ordre de tuer Stilicon, mais seulement de le garder. Quand il fut sorti de l’église, sur la foi de ce serment, et qu’il fut entre les mains des soldats, celui qui avait apporté la première lettre en présenta une seconde, par laquelle il était condamné à la mort, pour les crimes qu’il avait commis contre l’état. Il fut mené à l’heure même au supplice, et Euchérius, son fils, s’enfuit vers Rome. Ses domestiques, ses amis et les étrangers attachés à son service, se mirent en devoir de le sauver; mais il les en empêcha avec menaces, et se laissa tuer. Il fut sans doute le plus modéré de tous ceux qui, de son temps, parvinrent à une grande puissance. Bien qu’il eût épousé la nièce du vieux Théodose, qu’il eût eu la tutelle de ses deux fils, et qu’il eût commandé vingt-trois ans les armées, il ne vendit jamais aucune charge, et ne détourna jamais les fonds destinés au paiement des gens de guerre, pour l’appliquer à son profit particulier. N’ayant qu’un fils, il ne l’éleva pas à une plus haute dignité qu’à celle de tribun des notaires. Or, de peur que les curieux n’ignorent le temps de sa mort, je dirai qu’elle arriva le vingt-troisième jour du mois d’août, sous le consulat de Bassus et de Philippe, sous lequel mourut aussi l’empereur Arcadius.
