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Jul. Si tu crois fermement à la vérité des paroles de l'Apôtre, et si tu ne penses pas qu'il ait menti d'une manière impudente ; dis-nous comment cette maxime ne fait pas rougir, comme d'une imposture audacieuse, celui qui enseigne l'existence d'un péché naturel. Car, si le péché originel existait réellement, et qu'il donnât au démon le droit de propriété sur la nature humaine tout entière, saint Paul aurait-il pu diviser ainsi l'humanité en deux parties et comparer le nombre de ceux qui sont sauvés avec le nombre de ceux qui périssent? Le Seigneur voulant montrer dans l'Evangile combien le nombre des bienheureux est petit, s'est exprimé en ces termes : « Combien étroite et resserrée est la voie qui conduit à la vie, et combien est petit le nombre de ceux qui la trouvent ! Combien large et spacieuse est la voie qui conduit à la perdition, et combien sont nombreux ceux qui y entrent[^2] ! »
Aug. Ce qui renverse la doctrine que vous enseignez ici, c'est précisément cette maxime que le nombre de ceux qui parviennent au salut est petit, comparé au nombre de ceux qui périssent : car les premiers considérés en eux-mêmes et en dehors de toute comparaison avec les seconds, sont nombreux aussi ; il est dit, en effet, dans l'Apocalypse, que personne ne saurait compter leur multitude[^1].
Si saint Paul avait employé, pour les désigner, non pas le mot multos (un grand nombre), mais le mot plures (un plus grand nombre), nous ne pourrions pas dire qu'ils sont en plus petit nombre (car le mot plures renferme l'idée de comparaison) ; mais le mot plures n'existe pas dans le texte de l'Apôtre, et c'est vous-mêmes qui l'y introduisez. Cependant, même dans cette hypothèse, votre argumentation ne serait pas plus solide : car, suivant les principes de votre doctrine de l’imitation, (doctrine dont vous croyez que l'invention a été de votre part un acte de génie,.bien qu'elle soit en contradiction avec les enseignements véridiques et tout à fait explicites de l'Apôtre ; et qui consiste à soutenir que tous les pécheurs doivent être regardés comme ayant participé au péché du premier homme, non point parce qu'ils ont été engendrés de lui, ruais parce qu'ils ont imité sa conduite) ; suivant cette doctrine, dis-je, le nombre de ceux qui périssent par suite du péché ou à cause du péché d'un seul, est bien supérieur au nombre de ceux qui sont délivrés par la grâce d'un seul homme, Jésus-Christ. Qui ne voit en effet qu'il y a plus de pécheurs que de justes? et, suivant vous, ce n'est pois une partie, mais la totalité de ces pécheurs qui participent au péché d'un seul homme, non pas en tant qu'ils ont été engendrés de lui, ruais en tant qu'ils ont irrité sa conduite. Cependant, lors même que vous diriez que les transgresseurs de la loi seuls, et non pas tous les pécheurs, contractent par voie d'imitation la souillure du péché du premier homme; la loi de Dieu ayant été annoncée à une multitude de nations, il serait encore vrai de dire : « Combien large et spacieuse est la voie qui conduit à la mort, et combien sont nombreux les prévaricateurs qui entrent dans cette voie! combien étroite et resserrée est la voie qui conduit à la vie, et combien le nombre de ceux qui la trouvent est petit ! » du moins si on le compare à la multitude de ceux qui périssent; et cela, alors même que l'on ajouterait au petit nombre de ceux qui sont délivrés les enfants qui meurent après avoir reçu le baptême. Comment donc l'Apôtre aurait-il pu dire : La grâce de Dieu s'est répandue d'une manière beaucoup plus abondante sur un plus grand nombre? Ces paroles sont de vous, et non pas de lui; voici comment il s'est exprimé : « La grâce s'est répandue d'une manière beaucoup plus abondante sur un grand nombre » ; car, nous l'avons déjà dit, le nombre de ceux qui parviennent au salut est petit, si on le compare au nombre de ceux qui se perdent; mais considéré en lui-même, le nombre des élus est si grand que personne n'a le pouvoir de les compter. D'autre part, la grâce se répand sur eux d'une manière beaucoup plus abondante, en ce sens que, par suite du péché d'Adam, ils vivent dans le temps accablés de misères et sujets à la mort; tandis que, par suite des mérites de Jésus-Christ, ils jouiront d'une vie infiniment heureuse et qui ne finira point. Vos inventions ne sont plus fondées sur rien de sérieux : puissiez-vous enfin rendre votre intention droite !
Matt. VII, 13, 14.
Apoc. VII, 9.
