226.
Jul. Où est ici l'accusation portée contre la nature? Où est la souillure attribuée à l'origine de la substance humaine? Où est la sentence de condamnation portée contre les mouvements qui accompagnent l'acte de la génération? Il est clair comme le jour que le Maître des nations s'adresse uniquement à la volonté de l'homme, puisqu'il exhorte celui-ci à renoncer aux passions honteuses qui se cachent[^1], à réformer sa conduite et à mener une vie meilleure. Mais il est temps de laisser l'Apôtre lui-même donner un résumé de nos explications; nous ne poursuivrons pas plus longtemps l'interprétation des maximes énoncées par lui dans ces divers passages ; écoutons-le dissertant sur les principes qu'il vient d'établir. On verra, à la fin de son discours, quel est celui dont la doctrine et la foi sont conformes aux siennes. Nous disons, nous, que saint Paul a parlé d'un péché de la volonté humaine, de cette volonté qui se trouve dans chacun de ceux qui pèchent; suivant toi, au contraire, il a parlé du péché que tu crois, sur le témoignage de Fauste, être transmis par la voie de la génération et contracté par tous les hommes, indépendamment de leur volonté. Faisons trêve, s'il te plaît, au débat qui s'agite entre nous; de notre part, afin d'agir avec toute la modération possible, nous oublierons un instant la dignité de l'Apôtre, cette dignité qu'il me suffirait d'invoquer pour te réduire au silence; car, lors même que ses paroles sembleraient être en tout conformes aux vôtres, il n'en serait pas moins manifeste, eu égard à la sublimité incomparable de sa mission, qu'une doctrine aussi abominable n'a pu être enseignée par lui; qu'il a pu s'exprimer d'une manière obscure, mais qu'il n'a pu enseigner des maximes aussi perverses; pour le moment, accordons-lui seulement que le flambeau de la raison humaine n'était pas éteint en lui, et croyons qu'il a compris mieux que toi ses propres écrits. « Que le péché», dit-il, « ne règne donc point dans votre corps mon tel, en sorte que vous obéissiez à ses convoitises[^2] ». Je pourrais déjà dire ici que cette exhortation seule est une preuve que saint Paul parlait de péchés commis par la volonté; car, s'il existait des maux naturels, ils pourraient être châtiés par la justice, on pourrait en implorer le pardon de la miséricorde suprême, mais on ne pourrait en au. tune manière recevoir l'ordre de les éviter. La folie de tout homme qui demanderait que l'on s'appliquât à éviter des choses inhérentes à la nature humaine serait un mal plus grand que tout autre mal naturel, s'il pouvait en exister de cette sorte. Mais l'Apôtre n'a formulé aucun précepte dont on puisse avec raison attaquer la légitimité. C'est donc manifestement d'un péché volontaire qu'il recommande la fuite avec des instances si pressantes.
Aug. Qui ignore que l'Apôtre ne parle pas aux enfants, mais à ceux qui sont capables de comprendre ses paroles et d'obéir, avec le secours de la grâce de Dieu, aux préceptes qu'il proclame? quoique assurément il soit au pouvoir des parents de faire accomplir à leurs enfants des actes d'obéissance, à mesure que l'usage de. la raison se développe en eux; et d'empêcher ainsi qu'ils n'aient reçu en vain la grâce de Dieu[^3], au moment où ils ont été régénérés sans le savoir? Cependant, cette cliente, qui est toute belle à tes yeux, mais qui est tout à fait hideuse aux yeux de tous ses adversaires; cette concupiscence de la chair, dis-je, par le moyen de laquelle s'accomplit la naissance de l'homme et dont aucun homme n'est exempt, l'Apôtre ordonne qu'elle soit réprimée ; il ne permet pas qu'on la laisse exercer son empire, et il l'appelle du nom de péché, d'abord parce qu'elle tire son origine du premier péché, ensuite parce que tout homme qui cède aux mouvements par lesquels elle cherche à l'entraîner vers des choses défendues, commet le péché ; cette concupiscence n'existera plus en nous lorsque nous aurons revêtu un corps immortel ; conséquemment, puisque l'Apôtre pouvait dire : « Que le péché ne règne point dans votre corps », pourquoi a-t-il ajouté un mot et s'est-il exprimé ainsi : « Dans votre corps mortel », sinon parce qu'il a voulu faire naître en nous l'espoir que cette concupiscence, appelée par lui du nom de péché, n'existera plus quand nous ne serons plus revêtus d'un corps mortel? Apprends-nous toi-même pourquoi, au lieu de dire : « Que le péché n'existe point dans votre corps mortel », il dit : « Que le péché ne règne point » ; cette manière de s'exprimer ne vient-elle pas uniquement de ce que cette concupiscence, qui ne peut exister que dans une chair mortelle, règne sur ceux qui cèdent aux convoitises par lesquelles elle les porte au mal, et qui, vaincus ainsi par elles, sont bientôt, s'ils ne reçoivent le secours de la grâce, entraînés partout où elle les attire; avec une violence d'autant plus grande qu'ils se trouvent en présence d'une défense de la loi? quant à ceux qui, par un bienfait gratuit de Dieu, accomplissent ce qui est prescrit, c'est-à-dire qui n'obéissent pas aux mouvements et aux sollicitations pressantes de cette concupiscence, et qui ne font pas servir leurs membres d'instruments à ses convoitises, elle existe en eux, mais elle ne règne pas sur eux. La preuve qu'elle existe en eux, c'est qu'ils éprouvent une inclination violente au mal; et la preuve qu'elle ne règne pas sur eux, c'est que, la délectation de la justice étant .victorieuse, ils n'accomplissent point le mal. Comment, en effet, pourrait-on nous commander de ne point lui obéir, si elle ne nous donnait soit des ordres, soit des conseils ? Et comment pourrait-elle nous donner les uns ou les autres, si elle n'existait pas en nous?
II Cor. IV, 2.
Rom. VI, 12.
II Cor. VI, 1.
