CHAPITRE PREMIER. OCCASION DE CE LIVRE. QUELLE EST LA JUSTICE DE DIEU.
1. Chers fils Timase et Jacques, j'ai reçu le livre que vous m'avez envoyé, et faisant trêve aux travaux dont j'étais occupé, je l'ai lu rapidement, il est vrai, mais avec une grande attention. L'auteur de ce livre m'a paru enflammé d'un zèle ardent contre ceux qui, au lieu de rendre la volonté humaine responsable des péchés qu'elle commet, accusent la nature même des hommes et voudraient trouver dans cette nature une excuse à toutes leurs fautes. Il s'élève énergiquement contre cette doctrine pestilentielle que des auteurs, même païens, ont condamnée sévèrement, quand ils ont dit: « C'est à tort que le genre humain se plaint de sa nature1 ». D'un autre côté, pour rendre sa thèse plus facile, il a chargé de toutes les exagérations possibles la thèse de ses adversaires.
Toutefois, je crains fort que toute sa plaidoirie ne tourne en faveur de ceux « qui ont le zèle de Dieu, mais non pas selon la science de ceux qui, ignorant la justice de Dieu et voulant établir leur justice propre, ne sont point soumis à la justice de Dieu. » Après ces paroles, l'Apôtre nous apprend quelle est cette justice dont il parle : « Jésus-Christ », dit-il, « est la fin de la loi pour la justification de tous ceux qui croient en lui2 ». Par conséquent, cette justice ne consiste pas dans le précepte de la loi, capable seulement d'inspirer la crainte, mais dans le secours de la grâce de Jésus-Christ, vers laquelle doit nous conduire la crainte inspirée par la loi, et c'est la seule utilité qu'elle puisse nous procurer3. Voilà sur quoi repose la justice de Dieu, et c'est ce dont il faut être persuadé si l'on veut savoir pourquoi l'on est chrétien. « Car si la justice nous vient par la loi, c'est en vain que Jésus-Christ est mort4 ». Mais si ce n'est pas en vain que Jésus-Christ est mort, le pécheur ne peut trouver de justification que dans celui « qui justifie le pécheur en considération de sa foi, de telle sorte que sa foi lui est imputée à justice5. Car tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu, étant justifiés gratuitement par son sang6 ». Tous ceux donc qui ne croient pas être du nombre de ces hommes qui ont péché et qui -ont besoin de la gloire de Dieu, ne peuvent savoir pour quel motif ils sont obligés d'être chrétiens; car ceux qui se portent bien n'ont pas besoin de médecin; ce besoin n'existe que pour ceux qui sont malades; c'est pourquoi Jésus-Christ n'est point venu appeler les justes, mais les pécheurs7.
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