CHAPITRE XXXI. POURQUOI DIEU NE NOUS GUÉRIT-IL PAS IMMÉDIATEMENT DE L'ORGUEIL?
35. En parlant ainsi, je ne veux que faire mieux ressortir la profonde ignorance où je suis des décrets éternels de Dieu, et en particulier de la raison pour laquelle le Seigneur ne guérit pas immédiatement cet orgueil qui tend à se glisser jusque dans nos meilleures actions. La guérison de ce vice lui est demandée par les âmes pieuses avec des larmes amères et de longs gémissements; elles le conjurant sans cesse de leur offrir sa main puissante pour vaincre cet orgueil et en quelque sorte pour le fouler aux pieds et pour l’anéantir. Qu'un homme se réjouisse d'une bonne action qu'il vient d'accomplir et dans laquelle il croit avoir vaincu l'orgueil, aussitôt et du sein de cette joie l'orgueil se lève et dit: Je vis encore, pourquoi ce triomphe de la part? Car je vis précisément parce que tu triomphes. Sans doute ce serait une grande joie pour nous de pouvoir avant le temps triompher de l'orgueil vaincu, quoique nous sachions bien que son ombre planera sur nous jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans le plein midi. C'est ce midi qui nous est promis par la sainte Ecriture : « Il fera éclater notre justice comme la lumière ; il fera briller notre innocence comme le midi », pourvu que se réalise cette autre parole : « Placez vos voies dans le Seigneur, espérez en lui, il agira lui-même1».
Est-ce ainsi qu'en jugent ceux qui se croient le pouvoir d'agir par eux-mêmes? « Dieu agira lui-même » ; à qui s'adressaient ces paroles, si ce n'est pas à ceux qui disent : C’est nous qui agissons, c'est-à-dire nous nous justifions nous-mêmes. Sans doute nous ne restons pas sans agir, mais nous ne faisons que coopérer à l'action de Dieu qui nous prévient par sa miséricorde. Or, il nous prévient afin que nous soyons guéris et afin qu'étant guéris nous prenions de la force; il nous prévient afin que nous soyons appelés et qu'étant appelés nous soyons glorifiés; il nous prévient afin que nous vivions pieusement et que, vivant pieusement, nous vivions éternellement avec lui; car sans lui nous ne pouvons rien faire2. Ne lisons-nous pas : « Le Seigneur mon Dieu, sa miséricorde me préviendra3»;«Votre miséricorde m'accompagnera tous les jours de ma vie4 » . Faisons-lui, donc l'humble confession de notre vie, et ne cherchons pas à nous justifier. Car si notre vie n'est pas la sienne, mais la nôtre, elle ne saurait être innocente. C'est pourquoi nous devons la lui révéler par un humble aveu, et n'oublions pas qu'elle lui est connue, lors même que nous essaierions de la lui cacher. Il est bon de se confesser au Seigneur5.
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