CHAPITRE XXIII. DIEU N'ABANDONNE QUE CEUX QUI MÉRITENT D'ÊTRE ABANDONNÉS. NOUS NOUS SUFFISONS A NOUS-MÊMES POUR PÉCHER.
25. Notre auteur me répondra peut-être que ce n'est pas Dieu qui pousse les pécheurs à ces crimes, et qu'il lui suffit d'abandonner ceux qui sont dignes de l'être. Si ce sont là ses propres convictions, je les approuve; car du moment que ces pécheurs sont privés des lumières de la justice, et par là même plongés dans les ténèbres, que peuvent-ils produire autre chose que ces oeuvres de ténèbres que je viens de rappeler, jusqu'à ce que cette parole leur soit adressée et soit entendue par eux : « Vous qui dormez, levez-vous et sortez d’entre les morts, et le Christ vous éclairera1 ? » La vérité les regarde comme étant déjà morts, et de là cette parole: « Laissez les morts ensevelir leurs morts2 ». Et ceux que la vérité regarde comme morts, notre auteur soutient qu'ils ne peuvent être ni blessés ni viciés par le péché, parce qu'il a appris que le péché n'est point une substance. Personne ne lui dit : « que l'homme est ainsi fait qu'il peut passer de la justice au péché, mais qu'il ne peut du péché retourner à la justice ». Nous disons seulement que pour pécher il lui suffit de son libre arbitre, qui devient ainsi le principe de toutes ses souillures, tandis que pour revenir à la justice, il a besoin d'un médecin, car il est malade, et d’un vivificateur, car il est mort. Or, sur cette grâce, notre adversaire garde le plus fond silence, prétendant sans doute que pécheur peut se guérir par sa propre volé, puisqu'elle a suffi toute seule pour le souiller.
Nous ne lui disons pas « que la mort du corps est un péché », car elle n'en est que le châtiment; mourir corporellement ne saurait être un péché. Au contraire, la mort de l’âme c'est le péché, car en péchant, l'âme est séparée de sa vie, c'est-à-dire de Dieu ; et si elle ne peut faire que des oeuvres mortes, jusqu'à ce qu'elle revive par la grâce de Jésus-Christ. Nous. sommes loin de dire que :
« La faim, la soif et les autres infirmités corporelles nous entraînent dans la nécessité de pécher ». Nous ne voyons dans tout cela que des épreuves pour la vie des justes et des occasions ménagées par la providence pour donner à la vertu plus d'éclat et lui faire mériter une plus belle récompense. Mais pour supporter patiemment et saintement ces épreuves, l'âme a besoin d'être aidée par la grâce de Dieu, par l'esprit de Dieu, par la miséricorde de Dieu ; au lieu de s'élever dans l'orgueil de sa volonté, c'est dans l'humble confession de sa faiblesse qu'elle trouve la force et le courage. Ne sait-elle pas dire à Dieu : « Vous êtes ma patience3 ? » Or, je ne sais pourquoi cette grâce, ce secours et cette miséricorde sans laquelle il n'y a pas de justice possible, sont l'objet du silence le plus absolu de la part de notre auteur. Il va plus loin encore, car en nous présentant la nature comme suffisante pour produire la justice par le seul concours de la volonté, il détruit évidemment toute l'économie de la grâce de Jésus-Christ, en dehors de laquelle il n'y a plus de justice possible. D'un autre côté, après l'absolution du péché par la grâce et après notre justification, nous restons soumis à la mort corporelle, quoique cette mort ne soit que la conséquence du péché. Mais je crois avoir, selon mes forces, résolu suffisamment cette question dans les livres que j'ai adressés à Marcellin de sainte mémoire4 .
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