CHAPITRE XLV. AUTRES COMPARAISONS ET RAISONNEMENTS DE PÉLAGE.
53. Faut-il nous condamner à entendre le reste ? Oui, certes, afin de réfuter ses erreurs et de nous en préserver. « Quand », dit-il, « nous affirmons que l'homme peut vivre sans péché, nous n'attribuons pas ce pouvoir uniquement au libre arbitre, mais aussi à l'auteur de notre nature, c'est-à-dire à Dieu ; comment donc nous accuse-t-on de refuser à la grâce de Dieu ce que nous déclarons appartenir directement à Dieu ? » Nous commençons à deviner sa pensée, mais dans la crainte de nous tromper écoutons des développements plus explicites encore. « Afin », dit-il, « de nous faire mieux comprendre, étendons un peu la discussion.
Nous disons que la possibilité d'une chose repose non pas tant sur la puissance du libre-arbitre que sur la constitution même de notre nature ». Il appuie sa proposition sur des exemples ou des comparaisons. « Par exemple », dit-il, « je puis parler ; ce pouvoir de parler ne vient pas de moi; ce qui m'appartient en propre, c'est ce que je dis; et comme ce que je dis ne dépend que de ma volonté, il s'ensuit que je reste parfaitement le maître de parler et de ne pas parler. Quant au pouvoir même de parler, comme il ne vient pas de moi, c'est-à-dire de mon libre arbitre et de ma volonté, nécessairement il est toujours en moi et bon gré mal gré j'aurai toujours ce pouvoir de parler, à moins que je ne me coupe la langue, instrument indispensable à la parole ».
Je pourrais citer beaucoup de circonstances dans lesquelles, s'il le veut, l'homme peut s'enlever à lui-même la possibilité de parler, sans avoir besoin pour cela de se couper la langue. Supposé qu'un homme fasse une. action qui lui enlève la voix, il ne pourra plus parler quoique le membre destiné à la parole lui reste ; car la voix de l'homme n'est pas un membre; pour que la voix s'éteigne, il n'est pas nécessaire de couper la langue, il suffit qu'un organe intérieur se trouve notablement lésé. Pour éviter même toute occasion de chicaner sur les mots, car il pourrait peut-être me dire que léser c'est couper, il me suffit de faire remarquer que le mutisme aura lieu si, à l'aide de quelques liens, on arrive à fermer la bouche de telle sorte qu'il ne soit plus possible de l'ouvrir, ce qui n'a pas lieu quand ces organes sont dans leur état naturel.
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