CHAPITRE. XLIV. ÉTAT DE LA QUESTION ENTRE LES PÉLAGIENS ET LES CATHOLIQUES.
51. Pourquoi nous arrêter à de plus longs détails? Venons au coeur même de la question, la seule ou à peu près la seule qui soit à débattre entre nous et mes adversaires. Notre auteur en convient lui-même : « Il ne s'agit pas pour le moment de rechercher s'il y a eu ou s'il y a en cette vie des hommes sans péché, mais s'ils ont pu ou s'ils peuvent être sans péché ». De mon côté, sans affirmer s'il y en a eu ou s'il y en a, je soutiens qu'aucun homme n'a pu ou ne peut être sans péché, à moins qu'il n'ait été justifié dans la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur, mort sur la croix. La foi qui nous guérit est la même qui a guéri les justes de l'antiquité, c'est-à-dire la foi au Médiateur unique entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ Dieu et homme, la foi en sa mort et en sa résurrection. « Ayant donc un même esprit de foi, nous croyons nous aussi, et c'est aussi pourquoi nous parlons1 ».
52. Mais enfin voyons ce qu'il répond sur cette question qu'il se pose à lui-même et sur laquelle il ne peut que s'attirer les protestations des catholiques. « Ce qui émeut un grand nombre de chrétiens, me direz-vous, c'est de vous entendre soutenir que ce n'est point par la grâce de Dieu que l'homme peut être sans péché ». Oui, sans doute, c'est là ce qui nous émeut, c'est là ce que nous lui reprochons. Il l'avoue lui-même, une telle proposition nous révolte, et malgré toute la charité que nous avons les uns pour les autres, nous ne pouvons souffrir qu'une thèse semblable soit soutenue par des chrétiens. Maintenant voici comment il croit se tirer de l'objection qui lui est posée : « O aveuglement de l'ignorance ! » s'écrie-t-il, « ô honte d'une intelligence sans culture et qui prétend que nous soutenons qu'une chose peut exister sans la grâce de Dieu, quand nous ne cessons de répéter qu'elle n'a que Dieu seul pour auteur ! » Si nous ne savions pas ce qui va suivre, nous nous croirions abusés sur son compte par le bruit public ou par les dépositions formelles de nos frères. En effet, pouvait-on affirmer avec plus de brièveté et de vérité que la possibilité de ne pas pécher, quelque grande qu'elle soit ou qu'elle puisse être dans l'homme, ne peut venir que de Dieu ? De notre côté, c'est là ce que nous ne cessons de répéter, donnons-nous donc la main.
II Cor. IV, 13. ↩
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