CHAPITRE XXVII. LE MODE DE NOTRE GUÉRISON NE DÉPEND QUE DU CÉLESTE MÉDECIN.
30. L'auteur déploie toute son habileté et s’ingénie de toute manière pour réfuter ce raisonnement qui lui est posé : « Pour ôter à l'homme toute occasion de s'enorgueillir, il était nécessaire de lui faire sentir qu'il ne peut être sans péché ». Et voici que notre adversaire regarde comme « une absurdité et une folie que le péché devienne un remède au péché, puisque l'orgueil est lui-même lui péché ». Mais ne plonge-t-on pas le scalpel dans une plaie, ne fait-on pas des incisions dans une blessure , afin d'enlever la douleur par la douleur? Si jamais nous n'avions éprouvé ce genre d'opérations, et si nous en avions entendu parler dans des pays où choses semblables ne seraient jamais arrivées, n'aurions-nous pas souri de mépris et répondu par ces paroles : C'est une absurdité de prétendre que la douleur soit nécessaire pour détruire la douleur que cause un ulcère ?
31. « Mais Dieu », disent-ils, « peut tout guérir ». Et en effet, Dieu agit en vue de tout guérir, mais il agit conformément à ses propres desseins, et ce n'est pas au malade à lui tracer l'ordre de la guérison. Le Seigneur voulait assurément affermir son Apôtre, et cependant il lui dit : « La force se perfectionne dans la faiblesse » ; de plus, malgré les fréquentes prières de cet Apôtre, il ne lui enlève pas je ne sais quel aiguillon de la chair que Paul avoue lui avoir été donné dans la crainte qu'il ne trouvât dans la grandeur de ses révélations l'occasion de s'enorgueillir1. Les autres vices se nourrissent de mauvaises actions, l'orgueil seul est à craindre jusque dans les oeuvres les plus parfaites. Aussi les justes sont-ils fréquemment avertis de ne pas s'attribuer à eux-mêmes ce qui ne leur vient que de Dieu, car autrement ils pécheraient plus gravement que ceux-là mêmes qui ne font aucun bien et auxquels il est dit : « Faites votre salut avec crainte et tremblement; car c'est Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire, selon son bon plaisir2 ».
Si c'est Dieu qui opère en nous, pourquoi n'est-ce pas avec sécurité, plutôt qu'avec crainte et tremblement ? Mais le bien ne peut se faire sans notre propre volonté ; or il est à craindre que celui qui fait le bien ne s'en attribue à lui seul le mérite et ne dise dans son abondance : « Je ne serai jamais ébranlé ». Autrement celui qui, dans sa volonté, avait ajouté la force à la beauté , détournerait peu à peu sa face, ce qui jetterait dans le trouble l'orgueilleux qui aurait tenu ce langage ; cette tumeur de l'orgueil ne peut se guérir sans douleur.
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