CHAPITRE XLIX. DIEU EST TOUT-PUISSANT, QUOIQU'IL NE PUISSE NI PÉCHER, NI MOURIR, NI SE SUICIDER.
57. « Puisque », dit-il, « il dépend de nous de ne pas pécher, nous pouvons pécher et ne pas pécher ». Que répondrait-il donc si quelqu'un venait lui dire : Puisqu'il dépend de nous de ne pas vouloir le malheur, nous pouvons ne pas le vouloir et le vouloir ? Et cependant, il est certain que nous ne pouvons le vouloir. Et qui donc pourrait jamais vouloir être malheureux, quoiqu'il agisse peut-être de manière à se rendre malheureux sans le vouloir? Ensuite, comme il ne saurait être question de pécher quand on parle de Dieu, oserions-nous dire qu'il peut pécher et ne pas pécher? Loin de nous de dire que Dieu peut pécher ! Ne serait-ce pas folie de penser que Dieu n'est pas tout-puissant s'il ne peut mourir, ni se nier lui-même1 ? Que vient donc nous dire cet auteur et par quelles règles du discours prétendrait-il nous persuader ce qu'il ne veut même pas examiner?
Il ajoute : « puisqu'il ne dépend pas de nous de pouvoir ne pas pécher, si nous voulons ne pouvoir pas ne pas pécher, nous ne pouvons ne pouvoir pas ne pas pécher ». Une telle combinaison de mots rend la phrase à peu près incompréhensible. Il serait plus simple de dire : Puisqu'il ne dépend pas de nous de pouvoir ne pas pécher; soit que nous le voulions, soit que nous ne le voulions pas, nous pouvons ne pas pécher. Il ne dit pas : Soit que nous le voulions, soit que nous ne le voulions pas, nous ne péchons point; car assurément nous péchons si nous voulons ; et cependant, que nous le voulions, ou que nous ne le voulions pas, nous avons, selon lui, la possibilité de ne pas pécher, car il affirme que cette possibilité est inhérente à notre nature. S'il s'agissait d'un homme qui a les pieds valides, rien n'empêcherait de dire que, bon gré mal gré, il a la possibilité de marcher ; tandis que si ses pieds sont broyés, il cesse, même malgré lui, de pouvoir marcher. Or, la nature dont ou nous parle est une nature déchue et viciée. Pourquoi s'enorgueillissent la terre et la cendre2 ? Elle est viciée, aussi implore-t-elle le médecin: « Sauvez-moi, Seigneur3 », « guérissez mon âme », s'écrie-t-elle4. Pourquoi étouffer ces cris et empêcher la guérison future, en soutenant la possibilité présente de ne pas pécher ?
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