CHAPITRE LI. QUEL SENS PÉLAGE RAPPORTE A LA GRACE DE DIEU LA POSSIBILITÉ DE NE PAS PÉCHER.
59. Devant un tel langage les chrétiens indignés et au nom de leur propre salut se récrient et demandent : Pourquoi donc dites-vous que sans le secours de la grâce de Dieu l'homme peut ne pas pécher ? Et l'auteur, comme pour calmer cette trop juste indignation, leur répond : « La possibilité de ne pas pécher repose moins sur la puissance du, libre arbitre que sur une nécessité de la nature. Tout ce qui constitue l'essence de la nature remonte par là même à l'auteur de la nature, c'est-à-dire à Dieu. Comment donc, ajoute-t-il, ose-t-on nous accuser de soustraire la grâce de Dieu ce que je démontre au contraire se rapporter directement à Dieu? Ces paroles nous dévoilent enfin le fond de sa pensée qui jusque-là était restée pour nous un mystère. Il rapporte à la grâce de Dieu la possibilité de ne pas pécher en ce sens que Dieu est l'auteur de la nature de l'homme et que dans cette nature il a gravé inséparablement la possibilité de ne pas pécher. Par conséquent l'homme fait ce qu'il veut, puisqu'il n'agit pas quand il ne veut pas agir. Du moment qu'il est doué de cette inséparable possibilité, il ne saurait être question pour lui de faiblesse de volonté, ou plutôt de l'absence de volonté et de perfection.
Mais s'il en est ainsi, comment l'Apôtre peut-il dire : « Je trouve en moi la volonté de faire le bien, mais je ne trouve point le moyen de l'accomplir? » Si l'auteur que je réfute avait parlé de notre nature humaine telle qu'elle a été créée, c'est-à-dire dans toute sa force native et dans toute son innocence, nous pourrions accepter ses principes, en faisant nos réserves toutefois sur ce qu'il appelle une inséparable possibilité, qui a bien le sens d'une possibilité inamissible, possibilité qui en ce sens n'existait pas, puisque notre nature pouvait être viciée et avoir besoin d'un médecin qui guérît les yeux de aveugle et nous rendît cette possibilité de voir, qui nous avait été enlevée par l'aveuglement. Je suppose, en effet, que tout aveugle voudrait voir, mais qu'il ne le peut pas. Si donc il veut et ne peut pas, il a la volonté, mais la possibilité lui a été ravie.
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