CHAPITRE VII. DISTINCTION PÉLAGIENNE ENTRE L'ÊTRE ET LE POSSIBLE.
7. En parcourant le livre que vous m'avez adressé, je me prends d'admiration pour le zèle que déploie sols auteur contre ceux qui, pour se justifier de leurs fautes personnelles, s'en prennent à la faiblesse de la nature humaine. Combien plus ardent ne doit pas être notre zèle pour empêcher d'anéantir la croix de Jésus-Christ ! Or, c'est l'anéantir que de prétendre que, sans le secours du Sacrement de Jésus-Christ, nous pouvons parvenir à la justice et à la vie éternelle. Et pourtant tel est le but que poursuit notre auteur, je n'ose pas dire sciemment et volontairement, car autrement il cesserait, à mes yeux, d'être chrétien ; mais qu'il poursuit sans le savoir, j'aime à le croire, et avec des efforts véritablement inouïs ; pourquoi ses efforts ne sont-ils pas ceux d'un homme sage, au lieu d'être ceux d'un frénétique ?
8. Il s'attache tout d'abord à établir la distinction partout admise en principe entre ce qui est possible et ce qui existe. Il est de toute évidence que ce qui existe, par là même est possible, tandis que ce qui est possible peut fort bien ne pas exister. En effet, puisque le Sauveur a ressuscité Lazare1, il est clair qu'il a pu le ressusciter; mais de ce qu'il n'a pas ressuscité Judas, s'ensuit-il qu'il n'aurait pas pu le ressusciter? Il le pouvait, mais il ne le voulut pas. Car s'il l'eût voulu, cette résurrection se serait opérée en vertu de la même puissance qui avait ressuscité Lazare ; le Fils vivifie ceux qu'il veut vivifier2.
Mais remarquez à quelle conséquence l'auteur voudrait nous amener par cette distinction fondamentale. « Nous traitons », dit-il, « uniquement de la possibilité; et sur un tel sujet, il ne faut établir que ce qui est certain; car toute exagération pourrait entraîner à de très graves conclusions ». Puis, entrant dans des développements interminables, il se répète Jean, sous mille formes diverses, pour prouver qu'il ne s'occupe que de la possibilité de ne pas pécher. Entre autres choses, voici ce qu'il écrit: « Sans craindre de me répéter, je dis que l'homme peut être sans péché. Que dites-vous vous-même? Que l'homme ne peut pas être sans péché ? Je ne dis pas que l'homme est sans péché, et de votre côté vous ne dites pas non plus que l'homme n'est pas sans péché : nous discutons sur la possibilité et l'impossibilité, et non pas sur la réalité et la non-réalité ». Rappelant ensuite certains oracles sacrés que l'on a coutume de leur opposer, il soutient qu'ils sont étrangers à la question de savoir si l'homme peut, oui ou non, être sans péché. « Personne n'est pur de toute souillure3 ; il n'est pas d'homme qui ne pèche4; il n'y a pas de juste sur la terre5; il n'est personne qui fasse le bien6 » . « Or », dit-il, « tous ces passages s'appliquent au fait, et non point à la possibilité. En effet, nous y trouvons ce qu'ont été certains hommes à telle époque, et non pas ce qu'ils auraient pu être; aussi sont-ils à bon droit regardés comme coupables. Supposez qu'ils n'aient pu être que ce qu'ils ont été, comment pourraient-ils être coupables ? »
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