CHAPITRE XLVII. CONTINUATION DU MÊME SUJET.
55. Ecoutons également ce qui suit : « Nous pouvons », dit-il, « sentir par l'ouïe, l'odorat ou la vue, ce qu'il est en notre pouvoir d'entendre, de goûter et de voir ; quant au pouvoir même d'entendre, de goûter ou de voir, il ne dépend pas de nous, puisqu'il est pour chaque homme une nécessité naturelle ». Ou bien je ne comprends pas ce qu'il dit, ou peut-être il ne le comprend pas lui-même. Comment donc la possibilité de voir n'est-elle pas en notre pouvoir, si la nécessité de ne pas voir est entre nos mains, puisque nous pouvons nous arracher les yeux et par là même nous mettre dans l'impossibilité de voir? De même, comment est-il en notre pouvoir de voir si nous le voulons, puisque tout eu maintenant l'intégrité de la nature de notre corps et de nos yeux, nous pouvons ne pas voir bien que nous le voulions, soit que nous nous privions de lumières pendant la nuit, toit qu'on nous enferme dans quelque lieu ténébreux ?
De même, si le pouvoir d'entendre ou de ne pas entendre est pour nous une telle nécessité de nature, qu'il ne dépende aucunement de nous, tandis que l'acte même d'entendre ou de se pas entendre dépendrait entièrement de notre propre volonté, pourquoi ne remarque-t-il pas que nous sommes condamnés malgré nous à entendre une multitude de choses qui, malgré la résistance de nos oreilles, pénètrent jusqu'à notre coeur, à peu près comme le bruit strident d'une lime rapprochée de nous ou le grognement d'un porc? Si l'acte même de se fermer les oreilles prouve qu'il n'est point en notre pouvoir de ne pas entendre lorsque nos oreilles sont ouvertes, il prouve également qu'il est en notre pouvoir de nous mettre dans l'impossibilité d'entendre. Quant à ce qu'il veut bien nous dire de l'odorat, il ne voit point qu'il ne se comprend pas lui-même quand il affirme « qu'il n'est pas en notre puissance de pouvoir goûter ou de ne le pouvoir pas, mais qu'il est en notre puissance », c'est-à-dire qu'il dépend de notre libre volonté, « de goûter ou de ne pas goûter ». Supposons-nous placés au milieu d'odeurs fortes et mauvaises, et les mains étroitement liées, nous jouirons de la parfaite intégrité de nos membres ; et cependant, tout en voulant ne pas sentir, nous sentirons malgré nous. En effet, ne sommes-nous pas forcés de respirer et en respirant d'aspirer les odeurs?
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