CHAPITRE XXXII. ÉVITONS L'ORGUEIL JUSQUE DANS NOS BONNES OEUVRES.
36. Le Seigneur nous donnera ce qui lui plaît, si ce qui lui déplaît en nous nous déplaît également. Que le Seigneur, dit la sainte Ecriture, détourne nos sentiers de sa voie1 et qu'il fasse que sa voie devienne la nôtre; car c'est de lui que tout secours vient à ceux qui croient en lui et qui attendent de lui qu'il agisse lui-même. Telle est la voie juste, mais ignorée de ceux qui « ont le zèle de Dieu, mais un zèle qui n'est pas selon la science; car ne connaissant pas la justice qui vient de Dieu, et s'efforçant d'établir leur propre justice, ils ne sont point soumis à la justice de Dieu. En effet, Jésus-Christ est la fin de la loi pour justifier tous ceux qui croiront en lui2 » qui a dit : « Je suis la voie3 ». Alors même que nous marchons dans cette voie, Dieu ne laisse pas de nous effrayer par ses menaces, dans la crainte que nous ne présumions de nos propres forces. De là ce langage de l'Apôtre : « Opérez votre salut avec crainte et tremblement; car c'est Dieu qui produit en vous la volonté et l'action, selon son « gré4 ». De là aussi ces paroles du Psalmiste: « Servez le Seigneur avec crainte et réjouissez-vous en lui avec tremblement. Soumettez-vous à sa discipline, de a peur qu'il ne s'irrite, et que vous ne périssiez dans votre voie quand sur vous sa colère s'allumera soudain ». En nous menaçant du courroux divin, le Prophète ne dit pas que le Seigneur refuserait de nous montrer la voie juste, ou de nous introduire dans la voie juste; l'oracle s'adresse à ceux qui marchent dans cette voie et leur dit à tous de craindre « de peur qu'ils ne périssent dans leur voie juste ».
Tout cela, comme je l'ai dit précédemment, prouve que l'orgueil est à craindre même dans les bonnes actions, c'est-à-dire dans la voie juste, de peur que l'homme ne vienne à s'attribuer ce qui ne lui vient que de Dieu, et ne perde ce qui lui vient ainsi de Dieu, ce qui le réduirait aux seules forces naturelles. Réalisons donc ce voeu que le Psalmiste formule en terminant : « Heureux tous ceux qui ont mis leur confiance dans le Seigneur5 ». Demandons à Dieu qu'il agisse lui-même, qu'il nous découvre sa voie, «qu'il nous montre sa miséricorde ». Que celui à qui nous disons: « Donnez-nous votre salut6 », nous donne lui-même ce salut afin que nous puissions marcher. Qu'il nous conduise dans cette voie, Celui à qui nous disons : « Seigneur, conduisez-moi dans votre voie, et je marcherai dans votre vérité7 ». Qu'il nous fasse parvenir au terme de cette voie, c'est-à-dire à la possession des promesses, Celui à qui nous disons : « C'est votre main qui m'y conduit, c'est votre droite qui m'y soutient8». Qu'il rassasie ceux. qui sont assis avec Abraham, Isaac et Jacob, Celui dont il est dit : « Il les fera asseoir, il passera, et les servira ». Si nous rappelons tous ces oracles, ce n'est pas pour exalter la puissance du libre arbitre, mais pour affirmer de nouveau le besoin et l'efficacité de la grâce. A qui tout cela peut-il être utile, si ce n'est à celui qui veut, mais qui veut humblement et qui, pour arriver à la perfection de la justice, croit à l'insuffisance de ses propres forces et à la nécessité absolue de la grâce? 9
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