Chapitre CVII.
1 A l'illustre et puissant empereur des Romains, Auguste Constantin (Kosdantianos), couronné par Dieu, brillant de gloire, grand, excellent vainqueur. Les rois du monde, ceux qui aiment Dieu, les hommes pieux et éclairés par la foi dans toutes les circonstances de la vie, ceux qui aiment avec ardeur la vérité et la paix, les neuf ordres célestes et égaux, les causes de la piété spirituelle, aussi bien que les légitimes chefs des peuples et des nations, et les palmiers divins plantés, dans la maison du Seigneur vous saluent et vivent en paix et en bonne amitié avec le patriarche d'une église qui est comme prise par les ennemis, qui est abandonnée comme un désert aride, ou comme une mère privée de ses enfants, mais qui cependant reste et persiste dans l'amour de la gloire de Dieu. Salut de la part de moi, Jean (Iouannés), indigne patriarche de la grande Arménie ; grâce et paix en Dieu et en notre Seigneur Jésus-Christ à tous ceux qui sont avec nous, aux évêques et à la totalité des monastères de la sainte église ; à tous ceux qui sont frappés, tourmentés et battus par une mort horrible et par le souffle perfide d'Amalec (Amaghek), ce qui provient de la méchante haine du cruel anthropophage et de sa sauvage grossièreté. La foudre de l’amertume est tombée sur nous ainsi que l'affliction, la colère et des vengeances innombrables. Malgré cela, nous avons conservé dans nos âmes la grâce de la joie et l'amour du Seigneur, conformément à ce que dit Paul (Boghos) : Avant que tous vous fassiez des prières remplies d'éternels gémissements, d'humbles supplications, de demandes d'intercession et de dignes louanges, à cause des monarques puissants, invincibles et couronnés par Dieu, vous recueillerez certainement le fruit d'une vie de justice et la véritable paix du roi céleste ; et vos supplications vous procureront la belle et magnifique habitation du monde entier. Et sûrement et certainement, à cause de vos pensées vivifiantes, de votre religion, de toute votre piété, de votre louable sainteté, il activera que vous serez comblé d'une joie délectable, d'une grande satisfaction, et que l'on verra fleurir pour vous l’admirable plante du délicieux et divin repos. A cause de votre amour sincère de Dieu, vous serez environné de gloire avec une splendeur digne de vous et avec le magnifique ornement de vos vertus et de votre religion. Certainement vous êtes fidèle par amour, et vous êtes armé d'une épée pour tirer une vengeance exemplaire des impies. Le soldat de Dieu, qui s'est préparé à nous secourir, le puissant empereur des Romains, couronné par Jésus-Christ et distingué glorieusement par son courage et sa puissance, s'avance aujourd'hui vers nous, au récit de nos épouvantables souffrances et en considération de nos larmes. C'est pour cela que nous disons que les conseils de ceux qui vous parlent nous amènent l'espoir de la joie ; ce prince est modeste et pieux, comme nous le savons ; dans son extrême piété il ne profère jamais que des paroles vertueuses, et il ne prévoit jamais la voix de la destruction. A cause de la sagesse divine qui est imprimée en vous, vous êtes l'objet des vœux de tout le monde, et je rends de grandes actions de grâces de ce que l'auguste et puissant empereur prépare ses forces pour nous secourir. Je prends, en conséquence, les mesures nécessaires pour que le récit de nos souffrances parvienne aux oreilles des hommes pieux, et pour qu'on sache que les haines furieuses des ennemis de la vérité pèsent sur nous du poids de toutes leurs forces ; ils sont comme des jaloux impudiques et impurs, qui courent avec ardeur vers le chaste lit de la fiancée, l'église, pour souiller l'héritage du Seigneur, remplir d'abominations son saint temple, anéantir le peuple de Dieu par la pensée, le ravage et la destruction, dévorer le nouvel Israël, et ravager les lieux où l’on glorifie son nom. Au reste il est manifeste pour toutes les nations que, derrière la secourable muraille de votre force et de la terreur que vous inspirez aux ennemis, et sous la protection des ailes des empereurs, nous sommes comme dans un camp fortifié ou au milieu d'une belle ville. Certainement la couche de l'épouse du Christ n'est pas souillée pour habiter dans Cédar, ainsi que je l'ai dit à votre glorieuse sainteté, ni par la fréquentation du compagnon de Bélial (Péliar) ; car le fiancé qui aime la paix, ne peut pas être éloigné. Comme nous sommes abandonnés, il faut que vous soyez notre vengeur, et que vous nous délivriez des poisons d'un perfide serpent ; il faut avec grandeur accorder ce qui est juste ; nous ne demandons point, avec des paroles de vengeance, la punition des coupables ; une autre fois, de nouveau, nous commencerons à exécrer le dessein de tourmenter ceux qui veulent détruire les barrières spirituelles de la vigne du Seigneur, d'avancer et de tomber sur eux ; de les brûler, de les fouler aux pieds, de les exterminer, et enfin de poursuivre et d'anéantir par les flammes du plus violent incendie les perfides et les traîtres qui, agissant contre la foi chrétienne établie par Jésus-Christ, suscitent des persécutions à la sainte église, et font, comme les gardiens des maisons ou ceux des forêts, qui, avec la hache, en détruisent les entrées. Ils ne respectent pas la sainteté du Seigneur ; ils renversent par terre la tente où l’on adore son nom, accomplissent un sacrifice d'impiété, mettent le crime affreux à la place des vertus, trompent ceux dont la confiance est en Dieu, donnent pour pâture aux bêtes féroces des monceaux de corps morts, élèvent jusqu'au ciel des piles de corps saints, et font couler à torrents, comme un fleuve autour de Jérusalem, le sang des prêtres de l'église. La vaillance des combattants a été fatiguée par la grande quantité des meurtres, et ils se sont souillés de sang. Les princes de la race de Thorgoma, tous les chefs des villes et des bourgs sont accablés et fatigués par les calamités et les douleurs. Les uns sont précipités dans les fers ou dans les cachots et éprouvent des tourments épouvantables ; d'autres sont abandonnés à la soif de l’épée ; d'autres, par une perfidie infâme, sont emmenés captifs pour être vendus, et restent dans la société des méchants. Les grands et les petits sont disperses de tous côtés sur la surface de la terre, ou bien retirés ou cachés sur les montagnes, dans les cavernes et dans les antres, tourmentés par la nudité, la faim, l'agitation, une peur terrible, des sueurs affreuses, et la crainte de la mort ; ils sont comme abattus par le souffle de la tempête ; ils sont à demi-morts par les tourments et les souffrances. Partout la main d'Amalec est occupée à abreuver de sang le fer (homicide) ; son souffle perfide fait sortir la mort de toutes parts. Plusieurs des nôtres tombent dans les embûches de la perfidie ; ils meurent dévorés en secret par ces brigands. Quelques-uns sont consumés par l'incendie qui approche ; d'autres périssent étouffés ; d'autres sont cruellement poursuivis par l'épée jusqu'à ce qu'ils reçoivent la mort, C'est ainsi que notre pays est abîmé, et c'est en conséquence de cela que je vous adresse ces paroles en faveur de Sempad Pagratide et de tous les princes orientaux, qui sont dignes d'être appelés, spirituellement pariant, vos fils et vos serviteurs. Par cette bonne action vous serez le protecteur de l'église, et vous éloignerez de nous tous ces maux affreux que nous a causés un cruel ennemi, vous serez le défenseur du troupeau de Jésus-Christ, malgré nos péchés, notre arrogance et notre impiété. Après avoir été agitée, bouleversée et tourmentée par les souffrances les plus grandes, la race d'Ascénes, dans sa vieillesse, sera pacifiée par une fécondité spirituelle, et délivrée de toutes des méchancetés par la volonté du maître des rois. Pour la gloire et la louange de Dieu, le troupeau réuni du Christ a été affligé et persécuté dans sa vieillesse : d'horribles fers, des lieux obscurs, des abîmes épouvantables, des endroits difficiles et des tour-ciments affreux, tel fut son sort ; après quoi on nous présenta l'amertume des souffrances, la mort par les tourments, le meurtre par la soif de l’épée. En définitive nous avons été trompés ; mais nous nous plaçons sous votre protection et nous sommes vos fidèles serviteurs. Actuellement il faut livrer des combats, oublier nos souffrances et suivre votre conseil ; il n'y a plus de milieu : il faut se préparer à la guerre et disposer tous les combattants. Sédécias (Sétekia) a été emmené en captivité ; Zorobabel (Zoropapel) ne peut pas relever la puissance déchue du pays des Arméniens. Hazael (Azaiel) est prêt pour détruire Israël ; l'ennemi nous environne et nous assiège de tous les côtés. Macchabée, trompé par de perfides et barbares ennemis, ne peut nous délivrer des tourments les plus affreux. La religion de Jésus-Christ, que nous professons, est abandonnée au tyran Antiochus (Andiok’hos). Mathathias (Madathéas) n'est pas vivant pour combattre contre un guerrier perfide et tyran. L'église de Jésus-Christ est abandonnée ; elle reste dépréciée et isolée, comme une habitation ravagée par l'incendie, et les solennités des fêtes sont silencieuses. Le troupeau de Jésus-Christ se trouve tout entier privé des secours paternels ; il est dépouillé de sa propriété ; les pauvres, les affligés et les délaissés des pays orientaux sont toujours tourmentés par l'affliction ; ils poussent des gémissements lamentables et versent d'abondantes larmes ; ils endurent continuellement les persécutions des méchants ; ils sont agités, et leur sensibilité est mise à l'épreuve par toutes sortes de désagréments. Moi, le très indigne Jean, je supporte l'abattement de mon âme, en pensant qu'on ne jugera pas que les âmes des justes ont mérité d'être abandonnées aux méchants. Au reste mes péchés s'élèvent fortement contre moi. Le mal-ci heur, les tourments et l'exil ne sont que des épreuves ; j'en suis content, et je les place devant vous. Ainsi, selon Paul, c'est par la souffrance que se glorifie la faiblesse, et c'est par la patience qu'on illustre ses dangers. Beaucoup d'hommes sont persécutés et affligés par les enfants d'Agar (Hagar) ; tombés dans un puits marécageux, ils sont enchaînés avec des liens de fer, et ont à subir de mauvais traitements, des coups et des cruautés inimaginables, qui seraient suffisantes pour m'arracher l'âme. Au reste, moi, je suis comme un homme tourmenté. Toutefois notre espoir est en Jésus-Christ, qui nous soutiendra par la force ; qui ne pourra voir ce que je raconte sans délivrer mon corps de cet état de mort, et qui m'affranchira de l'esclavage, ainsi que ceux qui sont avec moi poursuivis par le midi, et comme, pour ainsi dire, tenus entre les dents du dragon. Élie (Éghia) s'enfuit à Sarepta (Sariptha) de Sidon, à cause de la prophétie faite contre Jézabel (Iezapel) ; Paul, craignant de perdre la vie, se réfugia dans les puissants remparts de Damas (Tamaskos), à cause du prince Arétas (Areda). Toutes ces souffrances, je les ai méritées. Par l'arrêt du Seigneur, je vais fuyant de ville en ville ; je me présente à la porte des riches, des grands, des rois puissants, dont je suis éloigné. Je demande et j'implore votre miséricorde, votre pitié, votre indulgence et votre bonté, non seulement pour moi, mais encore pour toute la race d’Ascénez. Défendez vos enfants et vos serviteurs, qui tous boivent dans la coupe de la colère dû tyran du Midi. Goûtons, épuisons même la lie de l'affliction dans le vase des malheurs affreux qui rendent notre état déplorable. Je vous prie donc, dans la sagesse et la piété de votre esprit, de lever votre main contre un ennemi impie, jusqu'à ce qu'il soit détruit, jusqu'à ce que vous ayez délivré votre propre héritage, et que vous ayez rétabli, aux dépens des infidèles, le grand et beau temple du Dieu très haut, qui a été pillé et dévasté par eux, Il faut mettre en fuite ces cruelles bêtes féroces, ces loups dévorants, ces infidèles, ces impies, ces barbares grossiers. Soumettons ces contrées, qui, dès le commencement, ont été converties à notre douce religion, qui est remplie de miséricorde ; (soumettons-les) afin de pouvoir tranquilliser notre terre, pacifier tout ce qui est au milieu de nous, et ôter le joug qui, pesant sur nos têtes, nous accablera jusqu'à la mort par la main des tyrans ; (soumettons-les) afin de sanctifier ce pays et nos villes, (en les délivrant) de l'infidélité, de la méchanceté des traîtres, de la destruction, et des mauvais princes, ennemis de Dieu ; ou, pour parler comme les prophètes, afin d'hériter de la félicité, en rendant malheureuses les filles de Babylone ; ce qui nous sera accordé. C'est pour cette cause que Dieu, dans sa bonté, choisit selon ses désirs ceux à qui il donne la paix. Il rend aux hommes puissants ce qui leur est dû pour leur service ; par une manière de vivre tranquille et par la paix ils s'approchent de Dieu. C'est parce que le Seigneur m'a confié ce troupeau spirituel de fidèles que je vous adresse des prières et des supplications. La conséquence de cela est que je suis obligé de dire à l'empereur, excellent vainqueur, couronné par Jésus-Christ, que la tyrannie du Midi m'accable ce de tout le poids d'un joug épouvantable ; que nous sommes tourmentés par la gêne, la contrainte et la nécessité de fuir ; par les souffrances, la faim, l'épée et la captivité. Je suis placé sur les fleuves de Babylone, et je me rappelle perpétuellement la captivité de Sion. Je me réfugie sous la protection du miséricordieux et puissant empereur ; je suis prosterné à ses pieds, je le supplie de faire attention à mon habitation et aux reliques des saints patriarches qui ont été avant moi, qui, au commencement, ont amené nos ancêtres dans le saint bercail de la foi, et qui occupaient cette habitation. Alors, éloigné par la force et le pouvoir de Dieu et de la sainte croix, et protégé par la miséricorde des invincibles empereurs, chacun en son ce temps, le troupeau fidèle paîtra tranquillement, le cœur en paix, et délivré de la crainte par la religion. Moi-même je vous supplie, en vous donnant la bénédiction par la croix salutaire et vivifiante, de ne pas me tromper, ni ceux qui avec moi adorent le saint signe divin, et d'accomplir les destinées réservées aux rois par le Seigneur. Au reste je suis empêché par le grand nombre de mes années d'aller auprès de vous, et je me suis trouvé arrêté ici jusqu'à ce jour. Votre gloire auguste, votre haute et puissante protection nous rendront la paix et la douce tranquillité de la vie ; probablement les Arabes seront chassés, le saint bercail de vos serviteurs sera fortifié et défendu, le troupeau de Dieu vivra désormais dans la plus grande sécurité ; et nous adresserons à Dieu de continuelles actions de grâce, à cause de la paix, de l’éloignement des ennemis, de l'extrême bonté du puissant maître des rois, et de vos efficaces secours. Avec gloire et éclat nous rétablirons le pays des Arméniens, nous rassemblerons le peuple devant le Seigneur, et grâce à vous nous remplirons les désirs de Dieu. Il est sans doute manifeste devant la gloire de votre trône que moi, faible pasteur d'un troupeau, je me soutiens à l'aide du glorieux et invincible saint signe, et par la protection des puissants empereurs. Bien plus, ce troupeau est dans l'héritage de Jésus-Christ ; il suit constamment mes traces ; il est toujours parqué sous la protection de la croix, de manière que les brebis ne peuvent pas sortir de la bergerie pour se répandre dans le pays. En définitive nous recherchons l'alliance de l'empire des Romains, comme tout ce qu'il y a de plus sûr et de plus convenable pour nous. Ceux qui ne la désirent pas sortent du troupeau du Seigneur. Aussi c'est pour cela que nous, nous obéissons à vos volontés et que nous y obéirons toujours. Moi, indigne, je resterai toujours dans mes péchés ! Que le saint signe élevé jusqu'aux cieux, brillant et éclatant de gloire, qui est au milieu du firmament, et qui resplendit comme le soleil, soit au milieu de vos états, sur la glorieuse ville où vous habitez, sur le palais où ce vous résidez ! Qu'ils soient sauvés de tout mal ; qu'ils ne soient point affligés par d'effroyables calamités ; qu'il ne s'élève point d'ouragan sur vos mers par la fureur des barbares étrangers ; que votre peuple ce n'éprouve point de violentes tempêtes qui soient suscitées par les infidèles et qui amènent l'hiver de la destruction, non plus que des flots qui ressemblent A des montagnes ! Des ennemis, même redoutables, ne peuvent enchaîner vos mouvements, ni tromper un monarque chrétien, dont la puissance, s'étend depuis les limites du pays jusqu'aux limites du monde ; votre empire est brillant de gloire. Nous sommes extrêmement joyeux et contents de l'admirable repos dont vous jouissez par la tranquillité et la paix. Votre salut est pour nous un sujet de très grande satisfaction, et votre noble commisération ne nous laisse pas dans les agitations de l'inquiétude. Nous nous approcherons pour recevoir la douce bénédiction de celui qui vous a couronné d'une couronne étincelante et glorieuse pour la gloire de Jésus-Christ, et qui a élevé votre justice par la force du Seigneur. Nous, nous bénissons glorieusement votre nom, puissant, excellent vainqueur, bon empereur des Romains, Auguste Constantin !
La longue lettre de Jean Catholicos à l'empereur Constantin Porphyrogénète, qui est rapportée ici en entier, fut probablement écrite dans le courant de l’année 920, peu après que Jean eut reçu celle du patriarche de Constantinople dont la teneur remplit les chapitres C et CI. Mais il faut suppléer au silence de l'historien arménien, en rappelant ici qu'à cette époque Constantin Porphyrogénète ne régnait que de nom. ↩
