Chapitre CLXXXIV.
Bientôt après il parvint à Nesr un ordre du grand osdigan Youssouf qui lui enjoignait de se mettre en marche et d'aller dans l’Azerbaïdjan, à cause d'un traître qui s'était révolté dans cette contrée. Nesr devait employer d'abord la douceur pour ramener à l'obéissance le rebelle, mais lui livrer bataille et le passer au fil de l'épée s'il résistait. Il laissa un de ses serviteurs les plus distingués, nommé Beschr, comme osdigan dans la ville de Tovin ; et, après lui avoir recommandé de tenir en prison et chargés de fers, jusqu'à son retour, les seigneurs de Sisagan, Isaac et Papgen, il se mit en route et marcha selon l’ordre de l'osdigan Youssouf. Aussitôt qu'il fut parti, Beschr rassembla une grande quantité de soldats et de troupes ; il sortit par la route de Geghamaschen, et se dirigea vers la province de Maghaz, en demandant vengeance du schahanschah, qui ne voulait pas se soumettre à la domination des Arabes. Ce prince se jeta alors dans in fort inattaquable de file de Sivan, et Beschr, qui était à la recherche du schahanschah, ne put parvenir jusque-là. Cet osdigan avait le dessein de s'emparer des provinces, d'emmener captifs le petit nombre d'hommes qui y restaient, de tout piller, de tout livrer en pâture à l'épée, afin que le pays entier se trouvât ruiné et dépeuplé d'habitants par les horribles dévastations des ennemis. Mais ce méchant et perfide projet ne réussit pas, attendu qu'un des favoris du schahanschah, nommé George (Georg), sortit du fort, protégea les provinces, et mit à l'abri des entreprises des Arabes tous les bâtiments qui restaient dans le pays. Beschr s'avança immédiatement pour le combattre ; mais George lui causa la plus grande terreur, quoiqu'il n'eût pas avec lui plus de vingt hommes, et que Beschr en eût mille. Il avait placé toute son espérance dans le Seigneur, et il dissipa les ennemis au moyen de la victoire qu'il remporta sur eux. Le courage et la vaillance imperturbable de son cœur se manifestèrent dans sa conduite brillante et héroïque. Il se jetait à cheval au milieu des Arabes, en renversait un grand nombre et forçait les autres à reculer. Quoiqu'il n'eût à sa disposition qu'un petit nombre de soldats, ils se précipitaient aussi l'épée à la main sur l'ennemi. L'esprit des Arabes était comme frappé de vertiges et d'une terreur subite, qui fut telle, qu'ils prirent soudainement la fuite devant lui. Dans cette déroute, leur raison, troublée par la plus honteuse terreur, était couverte d'un épais nuage : ils suivaient tous en masse le même chemin, livrant pour pâture à l'épée les prêtre innocents, les laboureurs, les paysans, les pasteurs, les voyageurs, les pauvres, et faisant enfin mourir de la mort des criminels ceux qui étaient innocents. Ils leur coupaient la tête, la prenaient avec eux et la portaient, en fuyant, dans la ville de Tovin ; pour s'en glorifier comme d'une marque de leur vaillance, du grand nombre de combats qu'ils avaient livrés et de leur victoire ; ils avaient en effet coupé la tête à plus de vingt innocents. Les infidèles restèrent quelques jours tranquilles après ce revers puis ils rassemblèrent beaucoup de soldats et formèrent un corps d'armée double du premier en cavalière et en guerriers de toute espèce. Ces troupes se mirent en marche et arrivèrent, par le rivage de la petite mer, devant le fort de l'île de Sevan, espérant que le schahanschah s'avancerait imprudemment, et qu'on pourrait par ruse se saisir de lui pour le faire mourir ou le retenir dans les fers. Quand le prince vit ces dispositions, il se dirigea vers les portes du fort fit préparer promptement onze navires, sur lesquels il monta avec soixante et dix nobles et leurs serviteurs, qui portaient des arcs préparés : c'étaient des hommes vaillants et tellement habiles à se servir de cette arme, qu'ils n'auraient pas manqué un cheveu. Le roi et ceux qui étaient montés avec lui sur les vaisseaux s'étant avancés dans l'intention de livrer un combat naval aux Arabes, se trouvèrent placés à merveille pour tirer de l'arc. Ils purent viser au milieu des ennemis, et tous les malheureux (qu'atteignirent leurs flèches) étaient étonnés. des blessures qu'ils recevaient. Une grande agitation, suivie d'un désordre complet, se manifesta au milieu de la multitude des infidèles, qui, enfin, prirent la fuite devant les chrétiens. Beschr, honteux de cet échec, voulut en tirer vengeance. Dans ce dessein il se mit en marche et alla droit au fort de K'heghai. Il espérait que par une attaque faite à l'improviste il pourrait facilement s'en emparer. Mais il fut obligé de renoncer à cet espoir, parce que George, dont nous avons déjà parlé à cause de son combat et de sa bravoure, monta très à propos sur les murailles du fort. Lorsqu'il vit tout le dégât que l'on faisait autour de K'heghai, vers les portes, il se revêtit de ses armes et prit ses ornements et sa lance acérée ; puis, accompagné de quelques hommes, il sortit du fort pour marcher à l'ennemi, et combattit seul, avec ce faible secours, contre toutes les troupes arabes. Dès le premier choc il tua le cheval de Beschr avec une très faible épée. Cet osdigan s'étant fait donner de force un autre cheval, sur lequel il monta, se hâta de prendre la fuite. George fut bien secondé par ses compagnons de guerre ; ils dispersèrent la multitude des ennemis et les obligèrent à fuir. Les Arabes, en général et en particulier, furent traités de la plus rude et de la plus violente façon par ce petit nombre de chrétiens ; aussi disaient-ils que ceux-ci étaient plus braves que David. Quand ils eurent éprouvé ce châtiment, ils retournèrent sur leurs pas, rentrèrent dans la ville de Tovin, et, par beaucoup de vexations, cherchèrent à tirer vengeance des habitants du fort.
