Chapitre XCVI.
Après cela commença une famine destructive : on vit périr dans le pays d'Ararad toutes les créatures ; dans les villes, dans les bourgs et dans les campagnes, les cadavres s'élevaient comme des monceaux, et la consternation était répandue partout. Les riches aliénaient peu à peu leurs biens pour se procurer des aliments ; et, à la fin, ils tombaient dans la misère ; d'autres, à cause de leur pauvreté et de leur indigence, ne pouvaient vivre qu'avec beaucoup de peine, et souffraient cruellement de la famine : beaucoup d'entre eux, pour satisfaire leur faim, mangeaient des herbes vénéneuses, qui leur donnaient inévitablement la mort. Partout la faim tourmentait à cause de la pauvreté et faisait enlever les vivres. Quelques hommes, afin de pourvoir à leur propre subsistance, vendaient aux ennemis, pour un prix modique, leurs enfants chéris, qui ne pouvaient plus être traités avec bonté et miséricorde par leurs pères. Des femmes distinguées, contraintes par la pauvreté, allaient, la tête couverte d'un voile et avec des robes déchirées, mendier sans honte dans les places publiques pour (se procurer les moyens de) vivre. D'autres individus exténués, languissants, les yeux vides de larmes par la faim, dévorés par le besoin, tombaient de tous côtés, et quelquefois se faisaient périr les uns les autres ; d'autres étaient jetés, comme des monceaux de cadavres, dans les places publiques, et languissaient là jusqu’à ce que leur âme s'en fût allée ; d'autres se lamentaient ; d'autres ramassaient pour vivre les miettes de pain, et bientôt voyaient arriver le terme de leur vie. Dans le commencement plusieurs personnes riches leur donnaient par miséricorde. Mais ensuite, à cause de l'excessive dureté qu'elles montrèrent, on fut contraint d'aller dans les marchés pour manger, lorsqu'il était possible de s'y procurer quelque aliment, et chacun enlevait tout ce qu'il trouvait pour le faire porter sur sa table. Quelques-uns, à cause de leur extrême pauvreté, mangeaient le blé sans qu'il fût moulu ou mouillé ; d'autres dévoraient des substances excessivement salées, ou, ce qui est digne de larmes, se jetaient sur toutes les mauvaises choses qu'ils rencontraient, les plus difficiles comme les plus détestables à manger. C'est en frémissant d'horreur et d'épouvante que nous rapportons ces détails et tout ce que précédemment nous avons dit. Des hommes dignes de foi nous ont affirmé que quelques personnes de la Médie préparèrent, pour leur nourriture, les corps de leurs enfants, qui étaient morts de faim ; d'autres fondirent secrètement sur leurs amis, les égorgèrent comme des moutons, et les apprêtèrent pour les manger.
