Chapitre XVI.
Aschod remplit sans interruption, en la place de son père Sempad, les fonctions de sbarabied des Arméniens, absolument comme il a déjà été dit plus haut.1 Quand il fut revêtu de cette dignité, il méprisa complètement les choses infâmes ; il s'instruisait constamment par l'étude et se livrait à de belles occupations ; son esprit avait toujours de bonnes inspirations ; il était très porté à l'amitié ; jamais il n'avait d'altercation ou de violents démêlés avec des ennemis, et jamais il n'en souffrit entre personne ; partout il rétablissait à son gré la bonne harmonie par ses paroles conciliantes et par son assistance précieuse ; il regardait comme nuisible tout ce qu'on pouvait acquérir. par un vil intérêt. Il était libéral avec tout le monde ; il savait se concilier l'affection sincère de beaucoup de personnes, de sorte que chacun lui obéissait avec plaisir. Telle fut la manière dont il s'acquitta des fonctions de sbarabied ; aussi sa bonne renommée parvint-elle jusqu'à la cour royale.
Un osdigan nommé Ali-Arméni2 se rendit alors en Arménie par l'ordre de l'amirabied ; il créa Aschod prince des princes de l'Arménie. Il le revêtit d'un grand nombre de robes, et le traita avec une pompe vraiment remarquable : les Arméniens en furent très satisfaits, parce que ces distinctions étaient-semblables à celles qui s'accordent à la dignité royale. C'est ainsi qu'Aschod fut élevé en honneur, et que sa souveraineté se trouva placée au-dessus de toutes celles des Arméniens. Tous les princes réglèrent avec lui que sa race serait considérée par tout le monde comme une famille royale, reconnaissant qu'elle méritait une distinction particulière ; qu'elle était digne d'être élevée à la dignité de race royale, et de rester séparée de toutes les autres familles de princes.
Dans ce temps il arriva de grands et terribles troubles dans la ville de Tovin ; beaucoup de maisons, de palais et de murailles furent abattus et renversés ; une ruine et une dévastation universelles se répandirent sur la ville ; la mort fondit sur un grand nombre d'hommes. Cet horrible et épouvantable fléau n'épargna pas même les temples. Enfin, partout, dans les places et dans les rues, on n'entendait que des gémissements. Un vent extrêmement froid et les infernales glaces de l'hiver augmentèrent encore la langueur et les gémissements, et beaucoup de personnes périrent mutilées. Le saint patriarche offrit sans relâche au Dieu de miséricorde d'ardentes prières, des larmes de douleur, des supplications instantes pour obtenir de la faveur céleste que la violente colère de Dieu s'apaisât, et que la pure église de Jésus-Christ cessât d'éprouver des châtiments qui causaient tant d'affliction.
Cependant les ischkhans et les nakharars arméniens, qui avaient été emmenés prisonniers de force par Bougha, revinrent alors successivement dans leurs principautés, dans leurs possessions, dans leurs palais. Après avoir condamné leurs âmes au feu en suivant, quoique malgré eux, l'abominable doctrine de la loi de Mahomet, ils ramenèrent tous leurs âmes à la religion chrétienne, qui était la religion de leurs pères, et ils les ramenèrent non en secret, ou par la crainte, mais comme si on leur avait prêché la foi de Jésus-Christ. Ils retournèrent avec plaisir au Sauveur ; ils furent guidés par l'espérance ; ils bénirent le Seigneur, chantèrent ses louanges, et cultivèrent le champ de la foi. Ils ne furent pas dans le temple sur des épines, mais dans la joie et le contentement. Ils prirent des femmes, se marièrent, engendrèrent des fds, recueillirent des fruits et habitèrent chacun dans leur héritage. Le Seigneur les, favorisa et eut de la bienveillance pour eux.
Ce fut en 859 qu'Aschod reçut du khalife Motawakkel le titre d'ischkhan des ischkhans ou prince des princes. ↩
Le personnage que le khalife chargea de l’investiture, et qui est désigné par Jean Catholicos sous le nom de l’osdigan Ali-Arméni, ne se trouve pas dans la liste que nous a laissée Saint-Martin (Mém. I, 416-418) des osdigans qui gouvernèrent l'Arménie au nom des khalifes. Ce savant rapporte (ibid. 347, 368 et 418) que l’osdigan Bougha, en partant pour Bagdad, l’année 855 de notre ère, laissa l'administration à Schekhy, persan d'origine, qui Ait nommé osdigan d'Arménie par Motawakkel, et qui gouverna ce pays pendant quatre ans ; jusqu'à l'élévation d'Aschod à la dignité de prime des princes. Saint-Martin ajoute qu'à partir de ce dernier événement, les khalifes n'envoyèrent plus d'osdigan dans l'Arménie. Mais il est en contradiction sur ce point avec Jean Catholicos, comme on le voit dans le récit des faits postérieurs que rapporte l'historien arménien. ↩
