Chapitre XLII.
Dans ce temps-là, Constantin (Kouesdantin), roi de Colchide1 (Iégiéria), se déshonora par son infâme et détestable perfidie ; il cessa de tenir les yeux attachés par les règles de la justice et ne suivit plus que les conseils de sa méchanceté : il rassembla des troupes, le mit en marche, et, s’avançant du côté du nord, il fournit à sa puissance toutes les vallées du mont Caucase, la province de Gougarg (Koukark'h) et les peuplades qui habitent près de la porte des Alains. Toutes ces nations reconnaissaient la domination du roi Sempad. Alors le roi d'Ibérie, Adernersèh qui, par son mariage, était allié au roi de Colchide, lui envoya promptement une lettre dans laquelle il l'exhortait à démolir, à détruire et à arracher de son cœur sa vaine méchanceté, sa vile ambition et l'absurde projet qu'il avait formé contre son supérieur. Mais Constantin ferma ses oreilles, éloigna la parole de l'obéissance, et ne put supporter les conseils de la sagesse. Alors le roi Sempad rassembla un grand nombre de troupes et prit avec lui le roi d'Ibérie : ils s'avancèrent ensemble contre le rebelle Constantin. Quand celui-ci vit qu'il ne pouvait s'opposer à eux, il se retira dans un fort, d'où il chercha à entrer avec eux en arrangement. Le roi Sempad lui envoya son beau-père Adernersèh et plusieurs de ses nakharars pour traiter de la paix. Lorsqu'ils furent en présence et qu'ils commençaient déjà à parler, les nakharars, d'après l'ordre d'Adernersèh, se précipitèrent sur le roi de Colchide, le firent prisonnier et l'amenèrent devant le roi Sempad comme un mouton ou une chèvre. Mais lui, tel qu'un lion tombé dans un bourbier, s'agitait, se tournait de tous les côtés.
Le roi Sempad s'adjugea beaucoup de forts dans le pays de Voury et plaça des gouverneurs dans ces contrées ; il prit ensuite Constantin, roi de Colchide, l'amena avec lui, et le fit enfermer, chargé de chaînes, dans le fort d'Ani. Toutefois il ne le traita pas avec mépris ; au contraire, il le combla de distinctions et lui accorda tous les honneurs et toutes les distractions possibles, selon ce que fan inspirait l'extrême bonté de son caractère. Il le garda ainsi prisonnier pendant quatre mois. Mais les habitants de la Colchide s’étant divisés en deux partis qui se déchiraient et qui, l'un et l'autre, étaient prêts à se donner pour roi un homme qui aurait été plus tyran que Constantin, Sempad, mieux informé sur le compte de ce prince, ne craignit pas de lui rendre la liberté et de le rétablir dans sa souveraineté, d'abord parce que Constantin était son gendre et qu'il devait regarder sa délivrance comme une faveur signalée ; secondement parce qu'il était possible que ce prince devînt son allié, et que, guidé par des sentiments de reconnaissance, il lui restât toujours soumis à cause du service éminent dont il lui était redevable. Il le revêtit donc d'une robe royale, lui plaça sur la tête un diadème d'or, enrichi de perles, le ceignit d'une ceinture d'or, couverte de pierres précieuses, et lui donna avec magnificence tous les ornements et toutes les choses qui convenaient à sa dignité. Après cela il rassembla des troupes, les lui confia et le renvoya dans sa souveraineté ; Constantin se mit en marche et se rétablit dans son royaume héréditaire, qu'il gouverna en conservant beaucoup d'obéissance, de soumission et de fidélité au roi Sempad ; il s'acquittait même de ces devoirs avec zèle et avec plaisir.
Le roi d'Ibérie regarda d'un mauvais œil la délivrance de Constantin et trouva dans la conduite de Sempad une cause de guerre. Il était jaloux de la libéralité que ce dernier avait montrée envers le roi de Colchide ; il la considérait comme une raison d'attaquer Sempad, et déjà il armait contre lui, mais cependant secrètement. Il se préparait ainsi à trahir ce prince. Il ne manifestait pas ses desseins, mais il conservait ses mauvaises intentions et disposait tout pour triompher du roi. Son esprit n'était pas guidé par la prudence, et il ne songeait qu'à semer le trouble et les divisions.
L'invasion de quelques provinces septentrionales de l'Arménie par Constantin, roi de Colchide, eut lieu en l'année 904. ↩
