Chapitre I.
Je vais raconter en peu de mots ce qui concerne l'origine, le gouvernement et les belles actions de notre nation. Je parlerai d'abord du commencement de la royauté, puis du Parthe (Barthiev) Valarsace (Vaghar-schàk), qui a régné sur la maison de Thorgoma (Thouer-gouem), et de ceux de sa race qui nous ont gouvernés après lui. Je ferai connaître ce qui est arrivé de leur temps sur la surface de la terre. Je parlerai aussi de l'établissement de la foi chrétienne, et particulièrement de sa prédication dans l'Haïasdan par Barthélemi (Partoughiméoues), l'un des apôtres, et par Thaddée (Thathéuaes), l’un des soixante et dix disciples. Ils furent tous deux choisis par le sort pour être les prédicateurs et les docteurs de la foi chrétienne dans notre pays. Je ferai mention rapidement de notre saint illuminateur Grégoire (Grigouer) ; je rapporterai toutes ses actions, ses discours apostoliques, pour donner la lumière à la race de Thorgoma, et la retirer de l'abîme de l'affreuse idolâtrie. Je parierai ensuite de ses fils et petits-fils qui ont occupé dignement son siège, et de ses successeurs jusqu'à ce jour. J'écrirai leurs actions, celles des hommes qui ont vécu de leur temps, et ce qui arriva lorsque la glorieuse couronne des Arméniens fut divisée. Je rapporterai comment notre monarchie, qui avait été détruite autrefois, fut rétablie par le couronnement du grand prince Aschod (Aschoued). Schahpour Pagratide (Schabouèh Pagradouni) avant moi, et d'autres historiens de mon temps, ont fait le récit de ses voyages, de ses belles actions, de ses qualités, de ses fondations, et de la conclusion de la paix. C'est pour cela qu'il me semble qu'on ne doit pas se borner à présenter ici une narration qui ne serait qu'une suite de faits tronqués. Il faut écrire une histoire qui, appuyée sur des preuves irréfragables, soit inattaquable, tant sous le rapport des choses, que sous celui du style. On trouvera, en outre, dans mon ouvrage, la vie et les actions de Sempad1 (Schampad) fils d’Aschod, qui succéda à son père dans le royaume d'Arménie ; on verra sa vaillance dans les combats, sa fermeté dans les conseils, ses vertus, la bonté de son gouvernement et sa prudence ; avec cela tous les nakharars de son temps étaient instruits, célèbres, illustres et vaillants. Mais bientôt une affreuse calamité se répandit sur l'Arménie ; elle vint du côté du midi. Ce furent les Arabes (les Hagaratsi) qui portèrent dans notre patrie l'effroi, la terreur, la famine, la captivité et la mort. La fin déplorable et les malheurs du roi Sempad ne seront pas oubliés, non plus que le joug de fer des musulmans (ismaéliens), et que toutes les perfidies imaginées avant la mort du roi par l'osdigan (ouesdikan),2 pour armer du glaive de la haine contre lui le grand ischkhan Gagig (Gagik), qui était fils de sa sœur. Ce perfide gouverneur lui promit de lui donner la couronne, malgré Aschod, Après la mort du roi Sempad, il établit à la fois trois rois en Arménie, Gagig Ardzrounien, Aschod, fils de Sempad, et son sbarabied Aschod, fils de Schahpour. Ces trois princes se firent la guerre : Aschod alla trouver l'empereur Constantin (Kouesdantianoues), il fut reçu magnifiquement et renvoyé dans son pays avec une grande quantité de présents. Je dirai enfin comment les prêtres, en réglant que ces princes seraient tous appelés rois, mirent fin aux troubles, aux discordes horribles, aux dévastations affreuses, aux infamies, et enfin à toutes les horreurs qui tourmentaient notre patrie.
Le nom de Sempad est écrit Sembat par quelques historiens modernes, d'après la forme grecque Σεμβάτας, ou la forme latine Sembatus. ↩
Osdigan est le titre que donnaient les Arméniens aux lieutenants ou émirs qui gouvernèrent, au nom des khalifes, l'Arménie, la Perse, l'Azerbaïdjan, liberté, la Colchide, l'Albanie, etc. On peut consulter au sujet de ce titre une note de. Saint-Martin dans ses Mémoires historiques et géographiques sur l’Arménie ; Paris, 1818 et 1819 ; tom. I, 340, note 1. Le titre d’ischkhan équivaut à celui de prince. La dignité de sbarabied répond à celle de connétable ou de généralissime. Voyez à cet égard les remarques de Silvestre de Sacy, dans le tome VIII des Notices et Extraits des manuscrits (p. 148, 149 et 191), et celles de Saint-Martin, dans ses Mémoires sur l'Arménie (II, 398-300, note 1). On trouvera employés dans les chapitres suivants quatre autres qualifications ou titres dont je crois devoir indiquer ici la signification : Sbalasr, ou sbalasar, et sparsalar équivalent au titre de général d'armée. K'hananid est une qualification analogue à celle de khan. Nahabied répond au titre de chef ou de prince. Nakharars sert à désigner les grands ou les notables du pays. ↩
