Chapitre LXI.
Dans ce temps-là les frères de Grégoire, que l'osdigan avait fait mourir, s'échappèrent rapidement de leur prison ; c'étaient de fidèles Arméniens, et ils se nommaient Isaac (Sahak) et Vasag (Vasak) ; pendant leur fuite ils employèrent beaucoup de ruses et tous les tours d'adresse qu'ils purent imaginer ; ils gagnèrent des endroits d'un accès difficile, et se fortifièrent ensuite dans les forteresses de leur propre souveraineté. Ils n'en sortirent point, et n'allèrent pas dans le pays des étrangers jusqu'à ce que la colère de Dieu fût passée. Dans la suite, poursuivis par un général ennemi, ils se réfugièrent dans l'île de Sevan, auprès des moines et des religieux ; et s'y enfermèrent avec leur mère, leurs femmes, leurs enfants et les nobles qui habitaient avec eux. Il s'éleva alors un terrible ouragan contre les Arabes ; il fut si violent qu'il les força de s'éloigner de la maison où nous habitions. Quand on apprit cette nouvelle, les femmes se moquèrent des Arabes, qui alors rassemblèrent une armée et marchèrent de nouveau contre le fort. Lorsqu'ils arrivèrent sur le bord du lac, l'épée des ennemis attaqua et assiégea tout ce qui était autour d'eux. Après cela il vint à l'esprit des deux frères qui s'aimaient, que la colère des ennemis contre eux s'apaiserait ; et comme, au milieu des abîmes de l'eau, ils ne connaissaient pas de chemin pour fuir, ils allèrent se remettre au pouvoir des tyrans infidèles et se jeter dans le bourbier de la méchanceté. Mais par la suite les faibles ayant repris des forces, ils naviguèrent, s'avancèrent, et allèrent, avec leur mère, tous leurs compagnons, une grande quantité d'hommes et tout ce qu'ils purent emmener, se réfugier promptement dans un fort de la province de Miap'houer. Cependant le général arabe entra dans l'île et dans le fort, prit et pilla tout ce qu'on y avait laissé, puis rassembla tous ceux qui y étaient restés et les jeta dans les fers. Ensuite lui-même pilla le pays, et s'avança pour combattre et poursuivre les Arméniens ; beaucoup de ceux-ci s'étant mis à genoux devant les ennemis qui approchaient, on en blessa une grande quantité, et on livra les fuyards pour pâture à l'épée. Ceux qui purent s'échapper allèrent se cacher dans les forts des plaines de Gartman et d'Artsakh, où ils attendirent la miséricorde du Seigneur. Ce fut là que la mère des princes, sœur du roi Sempad, sainte et modeste princesse, mourut avec les moines dans une grande piété. Quelques années après, les princes retournèrent dans leur propre souveraineté, et la gouvernèrent ainsi que les principautés qu'ils tenaient de leurs pères ; ils avaient emporté avec eux le corps de leur mère, pour le déposer dans le tombeau de leurs ancêtres, auprès d'une église, à Schaghagai.
