Chapitre XLIII.
Dans ce temps-là, l'osdigan Youssouf se préparait secrètement à se révolter contre l'amirabied.1 Il se disposait à tirer l'épée contre lui ; il accablait tout de son pouvoir ; partout il donnait des ordres royaux d'après sa seule volonté. Quand l'amirabied en eut connaissance, il expédia promptement des lettres et des messagers vers tous les confins de sa souveraineté, afin qu'on se levât pour le venger de la perfide rébellion de Youssouf. Cela terminé, il envoya auprès du roi Sempad l'un de ses secrétaires les plus distingués, avec une lettre authentique qui engageait ce prince à rassembler de grandes forces pour marcher contre Youssouf et le punir, lui promettant, afin de l'y décider, de lui abandonner une année du tribut royal. Le roi fut saisi de la plus vive indignation en recevant cette proposition, parce qu'il était lié par un serment d'amitié avec Youssouf ; mais comme il ne pouvait éluder ni rejeter l’ordre supérieur, il dissimula malgré lui avec le secrétaire de l’amirabied. Il rassembla des troupes, forma une armée, prépara toutes les armes et les appareils de guerre, bien plus pour lui-même que pour punir le rebelle. Quand il eut réuni mille hommes et qu'ils furent en état de servir, il expédia un courrier du côté du Vasbouragan pour annoncer qu'il arrivait, parce qu'un secrétaire de l'amirabied était venu auprès de lui. Après quoi il envoya secrètement quelqu'un vers l’osdigan Youssouf pour l'avertir qu'il avait rassemblé ses troupes dans le dessein de le secourir et non d'agir en ennemi avec lui. Lorsque l’osdigan lut ce message, il pensa sérieusement à ce qu'il contenait, mais un odieux calomniateur lui suggéra un mauvais dessein. Retiré dans un fort, Youssouf ressemblait à un vieux serpent qui, dans son trou, médite quelque nouvel acte de méchanceté ; il attendait l'instant favorable pour répandre sur le roi ses poisons, pour s'emparer de lui, le troubler, le perdre, le brûler, et le donner enfin tout entier pour pâture à l'épée. Ne voulant pas cependant manifester immédiatement ses détestables desseins, il répondit à la lettre de Sempad comme s'il avait les plus grandes obligations à ce prince, tandis qu'intérieurement il méditait sa mort. Après cela, un esprit de soumission s'empara de Youssouf. Avec la plus grande justice, il soumit toute sa puissance et sa souveraineté à l'autorité de l'amirabied. Mais on lui donna de nouveau tout ce qui précédemment formait sa domination. Mais des deux côtés, c'est-à-dire de la part de l'amirabied et de celle de l'osdigan Youssouf, il arriva au roi Sempad un grand nombre de messagers avec des lettres, qui lui demandaient impérieusement le tribut royal, et lui faisaient de plus en plus sentir le joug de la servitude. Sempad voyant qu'il ne pouvait résister par la force, et que ces méchants se préparaient à exécuter quelque chose qui lui serait préjudiciable, crut qu'il suffirait de donner le tribut d'une année seulement ; que par là, il détournerait le cours de le méchanceté de ses ennemis, et qu'ensuite il pourrait obtenir la faveur de Dieu, qui le protégerait par sa toute-puissance. Il ordonna, en conséquence, de rassembler, dans tous les pays soumis à sa domination, des troupeaux de chevaux, de bœufs et de brebis, et de les donner en payement du tribut ; il se mit dans l'esprit que, par ce moyen, il parviendrait à obtenir la paix, attendu que les objets avec lesquels il acquittait le tribut, comme il l'avait déjà fait quatre fois, étaient propres à la nourriture. Mais il n'en put être ainsi à la cinquième fois : la paix fut refusée, et personne ne voulut soutenir Sempad ou être son allié dans cette, vie humaine. On exigea et on reçut en argent le payement d'une année de tribut. Les nakharars du roi, ignorant complètement quels coups avaient été portés au roi et quelles plaies en étaient résultées, se persuadèrent que les charges qui pesaient sur eux avaient été augmentées.
L'un des plus distingués d'entre eux, Hasan, ischkhan et hramanadar de beaucoup de pays dépendants du roi, n'était pas affectionné à ce prince et ne voulait pas contribuer à affermir sa puissance ; il ambitionnait lui-même de se faire roi, et il ne pensait pas à autre chose qu'à son élévation. Cet Achitophel (Ak'hidouepel) n'avait que de sinistres pensées ; il méditait dans son esprit l'horrible projet d'assassiner le roi. Il jetait la division partout ; il débauchait les sujets du roi, ainsi que les autres nakharars de Vanant ; par la séduction il devint leur chef. Lui et quinze autres convinrent secrètement avec le roi d'Ibérie des ruses et des moyens insidieux qu'il fallait employer. Ils réglèrent entre eux qu'on tuerait Sempad et qu'Hasan serait créé en sa place hramanadar des Arméniens, à condition seulement qu'il les aiderait dans l'exécution de leur perfide complot. Hasan eut besoin cependant d'exciter leur courage, parce qu'ils n'étaient que médiocrement affermis dans la résolution d'assassiner le roi.2 Un Harnounien, beau-père de Hasan, qui s'était allié avec eux pour seconder leurs mauvais desseins, prit courage et fut envoyé auprès du roi pour ce meurtre. Les autres, qui étaient unis avec lui pour le même projet, se mirent aussi en marche, et se rendirent auprès de Sempad, prétextant le service du roi, mais au vrai avec l'intention d'exécuter leur ténébreux projet, qu'ils avaient soin de cacher en attendant une occasion favorable pour agir.
